Cameroun| Présidentielle 2025 : Paul Biya, omniprésent : quand le pays devient galerie d’images

Dans la lumière rasante du matin, Yaoundé s’éveille entre klaxons, moteurs de moto-taxis et cris des marchands ambulants. Avant même que l’œil n’ait le temps de se perdre dans le tumulte, une figure s’impose : Paul Biya, costume bleu roi impeccable, veste trois boutons, cravate assortie parfaitement nouée, regard posé vers l’horizon avec un mélange de sérénité et d’assurance. Son visage, encadré par des mèches légèrement grisonnantes, semble presque flotter sur le fond clair de l’affiche, où les lettres rouges de son nom tranchent avec la typographie bleue des mots « Grandeur et Espérance ».

Plus bas, en rouge fin, « Le Septennat des Grandes Espérances » souligne l’ambition de ce mandat. Derrière, en filigrane, se répète en blanc discret la mention « Le Sage Paul Biya » à l’infini, créant un motif hypnotique qui enveloppe la silhouette du candidat et amplifie l’impression de profondeur. La ville respire à ce rythme visuel : Douala, Kribi, Bafoussam, Limbé, toutes ces cités vibrent au son de son image répétée jusqu’à l’obsession, transformant chaque rue, chaque carrefour, en scène électorale où le regard du candidat suit le passant comme une musique lancinante.

La ville en mosaïque : un voyage sonore et visuel

Traverser Douala aujourd’hui, c’est marcher dans une ville qui parle à travers des images. Dans plusieurs quartiers de la cité économique, les panneaux publicitaires se succèdent, trois, quatre, cinq fois le même visage à quelques dizaines de mètres, et chaque fois le regard du président vous fixe. Les moteurs des moto-taxis résonnent comme un rythme urbain, les klaxons ponctuent chaque pas, et les voix des marchands créent un chœur incessant où l’ombre de Paul Biya se glisse dans chaque interstice.

À Yaoundé, la poste centrale ressemble à une galerie d’art à ciel ouvert. Les murs, les abribus, les façades administratives sont habillés de la même image : costume bleu roi, cravate assortie, sourire discret, main posée sur le cœur. Une étudiante de Ngoa-Ekelle confie en passant devant un panneau : « On voit toujours le même visage, à chaque coin… ça finit par vous suivre dans vos pas».

Et en effet, dans ce labyrinthe de béton et de poussière, l’omniprésence devient presque physique, palpable comme la chaleur du bitume sous le pied.

Une omniprésence qui se ressent

Les passants réagissent différemment. Les commerçants de Bépanda, Douala, hochent la tête avec respect : « Ça montre qu’il est sérieux, qu’il compte, qu’il est là », expliquent-ils, voix rythmée par les coups de marteau des travaux voisins. D’autres observent, mains sur les hanches, dubitatifs : « pourquoi ne voit-on jamais d’autres candidats ? ». Sur un abribus près du marché central, un chauffeur de taxi s’interrompt pour photographier l’affiche, tandis qu’un enfant, assis sur le bord du trottoir, se met à jouer avec l’ombre de la figure du président, projetée par le soleil couchant.

Dans l’air flotte un mélange d’odeurs : épices, huile de friture, poussière fine des travaux et chaleur humaine des passants. Tout ce brouhaha devient une bande sonore à l’image de Paul Biya : répétitive, insistante, impossible à ignorer. Chaque klaxon, chaque pas, chaque cri semble souligner l’omniprésence du candidat dans le paysage visuel et auditif.

L’espace public comme scène électorale

Sur un tronçon de 5 km de Douala, près de 5 panneaux publicitaires répètent la même image. À Yaoundé, sur les boulevards principaux, plus de soixante visuels s’enchaînent, certains illuminés la nuit pour que le visage du candidat domine la ville même après le coucher du soleil. Les régisseurs interrogés confient : « Dans les campagnes, la visibilité se paye, et ici, elle est maximale ». Chaque affichage devient un acte politique, une performance silencieuse où la ville elle-même joue le rôle de théâtre et où l’architecture urbaine, les trottoirs, les murs et les lampadaires deviennent accessoires d’une mise en scène visuelle.

Le journaliste Kevin Fotso, ayant parcouru trois régions du Cameroun a fait le même constat : « J’ai vu un seul candidat sur les grandes affiches, souvent plusieurs fois au même endroit. On se demande si c’est une présidentielle ou l’anniversaire de Paul Biya », confie-t-il. Même la députée Nourane Foster s’émeut : « je dénonce l’utilisation de tous les panneaux publicitaires à la gloire d’un seul candidat » , a t’elle écrit sur sa page Facebook.

Pour les habitants, la perception est double. Certains admirent cette force de communication, d’autres s’interrogent sur la pluralité démocratique. Mais tous, d’une manière ou d’une autre, finissent par respirer cette omniprésence, par intégrer ce rythme visuel dans leur quotidien, comme une bande-son de la ville qu’on ne peut éteindre.

La communication visuelle en campagne

La multiplication des affiches de Paul Biya dans l’espace public ne se limite pas à une simple stratégie de visibilité ; elle s’inscrit dans une logique de communication politique visuelle, où l’image devient un outil puissant de persuasion et de légitimation.

Selon des experts en communication politique, une telle saturation visuelle peut avoir plusieurs effets sur les électeurs. Elle peut « renforcer la notoriété du candidat, créer une impression de présence constante et, par conséquent, influencer la perception du public sur sa légitimité et sa popularité » . Cette stratégie repose sur le principe que la répétition visuelle d’un message ou d’une image peut conditionner les électeurs à l’associer positivement au candidat.

Cependant, cette omniprésence peut également entraîner une forme de saturation cognitive. Les électeurs, exposés en permanence au même visage et au même message, peuvent d’après les experts « développer une forme de lassitude ou, au contraire, une adhésion automatique, sans véritable réflexion critique » . Cette situation soulève des questions sur l’équité du processus électoral, notamment en ce qui concerne l’accès équitable à l’espace public pour tous les candidats.

Des spécialistes en communication éthique soulignent que l’utilisation excessive de l’image d’un candidat peut être perçue comme une forme de « manipulation symbolique » , où l’image remplace le débat d’idées. Ils appellent à une « régulation plus stricte de l’affichage électoral afin de garantir une compétition équitable et respectueuse des principes démocratiques » .

Une campagne qui se vit, qui s’entend et qui se sent

Ce trop plein ne se limite pas à décrire : il fait ressentir. Le vent qui soulève la poussière sur le boulevard, le moteur d’une moto-taxi qui fait vibrer le trottoir, le parfum du marché mêlé à l’ombre d’un visage immuable… La campagne présidentielle 2025 se vit comme un rythme, une immersion totale dans l’image d’un candidat omniprésent, transformant chaque ville en une scène où l’électeur devient spectateur, acteur et témoin à la fois.

Dans ce flot urbain, Douala, Yaoundé, Kribi, Bafoussam et autres ne sont plus seulement des villes, mais des galeries vivantes, où Paul Biya, en costume bleu roi, continue de scruter, de suivre, de s’imposer, silencieusement, mais avec constance.


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