On pourrait le résumer en cette citation de Baltasar Gracián qui disait : « La discrétion est le vêtement de la sagesse ». Luc Ayang appartenait à cette génération de serviteurs de l’État dont le nom traverse les régimes sans jamais les défier. Premier ministre éphémère du Cameroun pendant à peine cinq mois, puis président d’une institution toute aussi discrète que lui ( le Conseil économique et social (CES) ) pendant plus de quatre décennies, il aura vécu, travaillé et disparu dans le sillage silencieux de Paul Biya, fidèle jusqu’à sa dernière heure. Mort à Bruxelles ce 14 octobre 2025, à 78 ans, des suites d’un accident vasculaire cérébral, il laisse derrière lui l’image d’un homme réservé, presque invisible au point où même le timbre vocal est complètement étranger au grand public.
L’enfant de Doukoula devenu haut fonctionnaire
Né en 1947 à Doukoula, dans le Mayo-Danay, au cœur du Grand Nord, Luc Ayang grandit dans un environnement rural et rigoureux, marqué par la discipline des familles tupuri. Après ses études primaires et secondaires entre Doukoula et Ngaoundéré, il obtient le baccalauréat au collège Mazenod en 1968.
La même année, il intègre l’Université de Yaoundé, où il décroche un diplôme en droit et économie en 1972, avant d’entrer à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), section administration générale, dont il sort administrateur civil en 1974. Cette formation, considérée comme le creuset des élites administratives camerounaises, l’ouvre aux cercles du pouvoir. En mars 1975, il entre au Secrétariat général de la présidence de la République, comme chef de service de la législation et de la réglementation. À 29 ans, il découvre les rouages de l’État et se fait remarquer pour son sérieux plus que pour son éclat.
Une ascension rapide, un Premier ministre éphémère
Nommé premier vice-préfet de Ngaoundéré en septembre 1976, il entre au gouvernement deux ans plus tard comme ministre de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales, le 2 mai 1978. Sa loyauté, sa discrétion et son sens administratif en font un profil consensuel.
Le 22 août 1983, à 36 ans, il est propulsé Premier ministre par intérim par le président Paul Biya, qui vient de succéder à Ahmadou Ahidjo. Cette nomination, survenue dans un contexte de fortes tensions politiques, fait de lui un acteur de transition, choisi pour sa neutralité et sa capacité à ne pas déranger les équilibres fragiles du moment.
Mais sa fonction ne durera que cinq mois et trois jours. En janvier 1984, Paul Biya supprime le poste de Premier ministre par un amendement constitutionnel. Luc Ayang quitte la primature aussi discrètement qu’il y était arrivé, sans remous, sans rupture, sans éclat. Il deviendra dès lors un homme de l’ombre du régime Biya, figure silencieuse d’un pouvoir qui préfère les fidélités feutrées aux ambitions bruyantes.
Quarante ans de présidence du Conseil économique et social
Le 4 février 1984, Paul Biya le nomme président du Conseil économique et social (CES), une institution consultative mentionnée dans la Constitution de 1972 et maintenue dans la révision de 1996. Le CES, qui regroupe aujourd’hui 150 membres, a pour mission de conseiller le pouvoir exécutif sur les questions économiques, sociales, culturelles et environnementales, et d’émettre des avis sur les projets de lois et décrets soumis par la présidence.
Luc Ayang y restera quarante et un ans sans discontinuer. Quatre décennies au même poste, un record dans l’histoire administrative du Cameroun moderne. Il devient ainsi la quatrième personnalité de la République dans l’ordre protocolaire, juste après le président du Sénat.
Mais cette longévité s’est accompagnée d’une visibilité minimale. Peu d’apparitions publiques, très peu de discours, et encore moins de prises de position. Son timbre vocal presque inaudible symbolisait à lui seul cette manière de gouverner par effacement, loin des caméras et des débats.
Pourtant, il n’a jamais cessé d’être utile au pouvoir, notamment comme représentant personnel de Paul Biya lors de nombreuses cérémonies officielles : conférence des chefs d’État ayant le français en partage (1997), inauguration du Centre international de l’artisanat du Cameroun, ouverture du SIARC 2016, entre autres.
L’inauguration du siège du CES, symbole d’une patience institutionnelle
En mars 2024, c’est lui-même qui préside l’inauguration officielle du siège du Conseil économique et social, un projet vieux de quarante ans enfin achevé. L’imposant bâtiment du quartier Dragages, à Yaoundé, couvre 12 000 m² sur 12 niveaux, comprend 260 bureaux, un hémicycle de 350 places, une salle des banquets de 800 convives, et un pavillon présidentiel de 230 m². Coût total : 44 milliards de francs CFA.
Ce jour-là, Luc Ayang, vêtu de son habit traditionnel tupuri blanc, sourit sobrement devant les caméras. Peu de mots, beaucoup de symboles : l’homme inaugurait le seul véritable chantier matériel de son institution.
La polémique de 2023 : quand la discrétion se fissure
En 2023, pour la première fois, son nom fait la une des médias — non pas pour une réforme, mais pour une polémique retentissante. Des documents administratifs fuitent sur les réseaux sociaux : ils révèlent un appel d’offres signé de sa main pour la construction d’une nouvelle résidence présidentielle d’un coût de 2 milliards de FCFA, et l’achat d’un véhicule d’apparat à 120 millions de FCFA.
Le scandale provoque une vague d’indignation. Le journaliste Paul Mahel dénonce une “gabegie institutionnelle”, tandis que l’ancien député Jean Robert Wafo parle d’un CES “inutile, décoratif et moribond”. La tempête médiatique secoue brièvement Yaoundé, mais Luc Ayang garde le silence, fidèle à son tempérament. Aucune réaction officielle, aucune déclaration : juste le silence, comme toujours.
Un homme de l’ombre, fidèle au pouvoir
Luc Ayang fut un pilier discret du système Biya. Membre titulaire du Comité central et du Bureau politique du RDPC, il n’a jamais cherché à sortir de son rôle. Sa fidélité, son absence de contestation et son ancrage dans le Nord en faisaient un équilibre politique utile à la présidence. Il représentait cette génération de hauts commis d’État qui ont survécu à tous les remaniements, non par ambition, mais par loyauté.
Début octobre 2025, il est victime d’un accident vasculaire cérébral à son domicile de Maroua. Évacué d’urgence vers l’Europe, il meurt à Bruxelles le 14 octobre 2025. Une disparition sans bruit, à l’image de sa vie. Dans les couloirs du CES qu’il aura présidé 43 ans, son nom reste gravé sur les plaques, dans les procès-verbaux et sur les rapports transmis à la Présidence. Peu d’hommes auront incarné à ce point la continuité silencieuse de l’État.
Luc Ayang n’a pas laissé de grandes phrases, ni de discours flamboyants. Son héritage, c’est la persistance — celle d’un homme qui a traversé deux Républiques, plusieurs crises politiques et quatre générations de ministres sans jamais vaciller.
Un serviteur de l’État dans le sens le plus littéral du terme : sans éclat, sans tumulte, sans gloire — mais présent, toujours.
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