« Ne devient pas président qui veut, mais qui peut ». Ces mots de Paul Biya, prononcés jadis dans un de ses rares prises, résonnent ce 27 Octobre avec une force singulière. À 92 ans, le président camerounais a été réélu pour un huitième mandat consécutif à l’issue d’un scrutin où il arrive en tête avec 53,66 % des suffrages exprimés, suivi d’Issa Tchiroma Bakary qui recueille 35,19 %, et de Cabral Libi’i avec 3,42 %. Dans un pays suspendu depuis des jours à la décision du Conseil constitutionnel, cette victoire confirme une longévité politique sans équivalent sur le continent africain.
Il est exactement 11 heures quand le président du Conseil constitutionnel, Clément Atangana, fait son entrée dans la grande salle du Palais des Congrès de Yaoundé, suivi des autres membres de l’institution. Les visages sont graves, les gestes mesurés.
Dans cette salle dorée, aux tentures impeccables, le regard se fixe instinctivement sur le grand drapeau du Cameroun, dressé derrière la longue table où siègent les juges constitutionnels.
Les dorures du plafond renvoient la lumière sur les visages des officiels présents : ministres, membres du corps diplomatique, chefs des institutions républicaines, officiers supérieurs, membres du gouvernement, anciens ministres d’État… Tout le gratin institutionnel s’y trouve.
Clément Atangana ouvre la séance par la lecture d’un ensemble de textes, lecture des résultats des candidats par régions et départ, un travail fait par le membre Adolphe Monkoa She et Florence Rita et d’autres membres du conseil. Le ton est solennel, le rythme lent, presque cérémonial.
Le silence domine la salle, seulement troublé par le cliquetis des caméras de la CRTV et le froissement des costumes… Puis le maître des lieux reprend la parole , le temps de donner les chiffres importants du scrutin , 8 millions d’inscrits, 4 millions de participants, 57620 bulletins nul puis vient la phrase que tout un pays attend : « Est déclaré gagnant pour avoir obtenu la majorité des suffrages exprimés le candidat Biya Paul».
Des applaudissements éclatent dans la salle, pleins, ronds, presque solennels. Sur les banquettes rouges du grand amphithéâtre, les membres du gouvernement, les barons du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) et plusieurs figures diplomatiques se lèvent à demi, les mains jointes, sourires maîtrisés. Certains échangent des accolades discrètes, d’autres murmurent des félicitations.
Les caméras s’attardent sur les visages émus : un ministre ému, un autre dodeline de la tête, soulagé. Mais dans les rangs du fond, quelques visages demeurent fermés. Des diplomates observent en silence, notant chaque geste.
Des représentants de partis de l’opposition croisent les bras, impassibles, comme si la scène leur appartenait déjà. La joie des uns contraste avec la résignation des autres, créant dans la salle une tension presque palpable — un mélange d’orgueil et de lassitude, de triomphe et de doute.
Derrière cette euphorie maîtrisée, on sent la gravité du moment : le Cameroun entre dans un nouveau cycle du même règne, celui d’un homme que le temps n’efface pas.
Aux abords du Palais : entre ferveur et lassitude
Dehors, l’air de Yaoundé semble suspendu. Les sirènes de motards couvrent par instants les cris des partisans venus célébrer la victoire. Sous un soleil lourd, les pelouses du Palais des Congrès sont envahies par les chants improvisés. « Biya reste le garant de notre stabilité, tant qu’il est là, le Cameroun ne s’effondrera pas », confie Roger, 42 ans, fonctionnaire.
Plus loin, Mireille, étudiante en sciences politiques, observe la scène d’un air résigné : « C’est un mandat de plus, un mandat de trop. On vit dans un éternel recommencement ». Entre ferveur populaire et lassitude citoyenne, la ville traduit à elle seule le paradoxe camerounais : une nation à la fois fidèle et fatiguée.
Paul Biya, quarante-trois ans de pouvoir …. Et plus
Né le 13 février 1933 à Mvomeka’a, petit village blotti dans la verdure du Sud Cameroun, Paul Barthélemy Biya’a Bi Mvondo incarne à lui seul la mémoire politique du pays. Entré dans la haute administration à la faveur de l’indépendance, il gravit, pas à pas, les échelons de la République, jusqu’à succéder à Ahmadou Ahidjo le 6 novembre 1982. Depuis, il tient fermement la barre de l’État, traversant les tempêtes du temps avec un mélange de prudence, de distance et de maîtrise.
Homme de dossiers, adepte du secret et du calme souverain, Paul Biya a fait de la patience un art d’État. Il aura traversé huit scrutins présidentiels, deux décennies de crise anglophone, des mutations économiques profondes et l’avènement d’au moins trois générations de Camerounais. Ses discours, rares mais soigneusement pesés, trahissent la main d’un stratège autant que la réserve d’un sage qui préfère l’ombre à la foule.
Son style de gouvernance repose sur trois piliers : le contrôle méticuleux des institutions, une diplomatie mesurée — souvent saluée pour son habileté dans les équilibres régionaux —, et une endurance presque mystique face aux épreuves du temps. Sous son règne, le Cameroun a connu la stabilité politique que d’aucuns lui reconnaissent, mais aussi la lenteur du changement que beaucoup lui reprochent.
Ses partisans voient en lui un patriarche protecteur, gardien d’un ordre républicain hérité des Pères fondateurs. Ses détracteurs, eux, y lisent le visage d’un pouvoir figé, verrouillé, indifférent aux urgences de l’époque. Entre ces deux perceptions s’étend une figure devenue légende : celle d’un président insaisissable, silencieux, presque intemporel.
Car qu’on l’admire ou qu’on le conteste, Paul Biya demeure une énigme politique — un homme que ni la fatigue, ni l’âge, ni le tumulte ne semblent atteindre, comme si le temps, lui aussi, avait choisi de plier devant sa constance.
Une victoire contestée avant même son annonce
Depuis le lendemain du scrutin, Issa Tchiroma Bakary, président du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), clame sa victoire avec la ferveur d’un homme persuadé d’avoir fait basculer l’histoire. L’ancien ministre, passé à l’opposition il y a quelques mois, est désormais le cauchemar politique de Paul Biya. Sous sa houlette, une fronde populaire s’organise, notamment dans le septentrion camerounais, où ses partisans scandent déjà son nom comme un serment de défiance.
Contestant les résultats officiels du scrutin du 12 octobre, Issa Tchiroma Bakary s’est autoproclamé “président élu” et jure de faire respecter ce qu’il appelle sa “vérité des urnes”. Entre conférences de presse improvisées et prises de parole passionnées, il accuse le pouvoir en place d’avoir “trafiqué la volonté du peuple” et “manipulé les procès-verbaux” dans plusieurs circonscriptions.
Hier encore, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays, notamment à Douala et à Garoua, son principal bastion politique. Des attroupements massifs ont dégénéré dans certains quartiers de la capitale économique, provoquant des heurts avec les forces de maintien de l’ordre. Le bilan fait état de quatre morts à Douala. Le gouverneur du Littoral, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, a réagi avec fermeté : « Force restera à la loi , les auteurs seront traduits devant les juridictions compétentes».
Malgré la tension palpable dans certaines zones, le Conseil constitutionnel a rendu son verdict ce matin. Dans le grand amphithéâtre du Palais des Congrès, la voix de Clément Atangana a clos le débat : Paul Biya est déclaré vainqueur.
Et dans la mécanique institutionnelle camerounaise, cette parole est la dernière. Le temps, désormais, est à la prestation de serment dans 15 jours devant l’Assemblée Nationale.. Nous entendrons raisonner encore la phrase mythique du moment , le fameux ” I do so swear ” .











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