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Cameroun| De Narcisse Mouelle Kombi à Samuel Eto’o en passant par Paul Atanga Nji, la nouvelle crise qui secoue le football camerounais

La journée d’hier aurait pu rester celle de la gueule de bois sportive. À peine vingt-quatre heures après l’élimination des Lions Indomptables du Mondial 2026, le football camerounais replonge dans une dramaturgie institutionnelle dont il a secrètement le génie : une nouvelle crise éclate au sommet, faite de correspondances officielles, d’ordres, de contre-ordres, et d’un bras de fer désormais frontal entre la Tutelle, la FECAFOOT et le MINAT.

Dans les rédactions, les journalistes sportifs parlent de « prolongations administratives » d’un match déjà tendu. Sur le terrain bureaucratique, la rencontre oppose une fois encore les poids lourds de l’appareil sportif : Narcisse Mouelle Kombi, Samuel Eto’o, et désormais Paul Atanga Nji, appelé à arbitrer un duel qui menace l’ordre public.

« Je réitère la nécessité pour vous de surseoir au processus électoral »

Le 14 novembre s’ouvre sur une scène administrative dont la densité tranche avec le calme apparent du matin. Le premier courrier du MINSEP, long de plusieurs pages, ressemble moins à une simple réponse qu’à un diagnostic institutionnel. Narcisse Mouelle Kombi y répond à la demande de Samuel Eto’o — la désignation de deux représentants du Ministère à l’Assemblée générale élective du 29 novembre — en déroulant une argumentation qui, au fil des paragraphes, prend la forme d’un désaveu public.

Il rappelle d’abord une correspondance datée du 21 août, qui fixait des impératifs clairs : apurer les contentieux, corriger les irrégularités, éliminer les exclusions arbitraires, restaurer un corps électoral conforme aux Statuts de 2021 — les seuls reconnus par l’État — et revenir à un processus « inclusif, collaboratif et apaisé ». Des conditions minimales, selon la Tutelle, pour que la FECAFOOT puisse envisager un scrutin légitime.

Mais le Ministre constate que, « contre vents et marées », la Fédération a maintenu un processus « entaché d’irrégularités », marqué par une « attitude récurrente de défiance envers la Tutelle ». Les expressions sont lourdes de sens : elles qualifient une chaîne d’anomalies perçues comme structurelles — clubs fictifs, contentieux non réglés, violations de Statuts, organes électoraux contestés — qui, selon le MINSEP, rendent impossible toute caution institutionnelle.

Dès lors, la réponse tombe, froide, définitive : « il m’est impossible d’accéder à cette demande ». Une phrase qui retire la participation ministérielle et, par ricochet, fragilise l’Assemblée projetée. Cette première lettre, déjà sévère, n’était pourtant que le premier acte.

Quelques heures plus tard, un second courrier quitte le même cabinet pour prendre une direction plus sensible encore : le Ministre de l’Administration Territoriale, Paul Atanga Nji. L’objet, cette fois, ne laisse place à aucune nuance : « interdiction des Assemblées constitutives et/ou électives dans le domaine du football, y compris celle du 29 novembre à Mbankomo ».

Une mesure conservatoire, présentée comme urgente, destinée à prévenir un trouble à l’ordre public que le MINSEP juge imminent. Dans ce courrier d’un formalisme rigoureux, les griefs sont posés un à un.

Le Ministre rappelle qu’en août déjà, la FECAFOOT avait été instruite d’apporter des correctifs « eu égard aux multiples récriminations de nombreux acteurs ». Pourtant, écrit-il, le Président de la Fédération a poursuivi un processus « manifestement irrégulier », « contraire aux orientations ministérielles » et à la législation qui confère à l’État le pouvoir de contrôler, agréer, suspendre — voire retirer l’agrément — des fédérations sportives.

Les irrégularités listées ressemblent à un acte d’accusation : violation de la loi, violation de Statuts essentiels, exclusion ciblée de candidats, clubs fictifs intégrés dans le corps électoral, contentieux non résolus, non-respect de la Tutelle, perturbation de l’ordre public sportif. Mais le dossier va au-delà de simples anomalies : il documente un éclatement progressif du paysage footballistique. Le MINSEP signale des appels à la dissolution de la FECAFOOT, la naissance d’une structure parallèle — l’Association Camerounaise de Football 7 — dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et même un processus électoral concurrent conduit par le Sénateur Albert Mbida.

Autant de signaux qui, pour l’État, témoignent d’une fragmentation dangereuse. Le Ministre note aussi la montée d’une tension palpable autour de l’Assemblée du 29 novembre : menaces de perturbation, contestations ouvertes, plaintes multiples adressées à ses services. Et malgré cela, relève-t-il, M. Eto’o « entend organiser » le scrutin, « contre l’avis de la Tutelle », à 8 heures précises, au Centre d’Excellence de Mbankomo.

Dans un contexte post-électoral national sensible, écrit Narcisse Mouelle Kombi, le football devrait être un instrument de cohésion, non un carburant de division. C’est à partir de cette logique qu’il sollicite, sans détour, l’intervention du MINAT pour suspendre toutes les assemblées du secteur.

Ainsi, en moins de vingt-quatre heures, deux courriers auront déplacé le centre de gravité du football camerounais : l’un retire l’appui ministériel, l’autre appelle à une interdiction générale.

Au-dessus de l’Assemblée du 29 novembre plane désormais une suspension, à la fois administrative, politique et symbolique — une suspension qui tient en équilibre entre deux ministères, deux visions, et un football pris dans l’étau de ses propres fractures.

Eto’o, « Candidat unique » : la FECAFOOT répond coup pour coup

La fédération n’a pas laissé le temps au courrier du 14 novembre de refroidir sur les tables des rédactions. À peine le MINSEP avait-il opposé son refus que la fédération dégainait, en retour, une lettre qui n’a rien d’une simple réponse administrative. C’est un texte calibré, charpenté, presque défiant, qui porte la signature de Samuel Eto’o. Un style sec, précis, où chaque paragraphe est construit comme une démonstration devant un tribunal.

L’ancien capitaine des Lions indomptables n’y adopte ni lyrisme ni diplomatie. Il décortique. Il rectifie. Et surtout, il renverse. D’entrée, il accuse réception, mais tout de suite après, il relève « des contradictions majeures », des « limites de fond et de forme », et une interprétation ministérielle qu’il qualifie, sans trembler, de « personnelle » et « dénuée de portée normative ».

Dans sa logique, le MINSEP s’appuie sur des recommandations antérieures pour refuser de désigner ses deux représentants. Pour Eto’o, ce fondement n’existe pas. Il le dit, noir sur blanc : « Aucune norme légale ou réglementaire ne subordonne la désignation des représentants du Ministère à l’exécution préalable de recommandations administratives ». 

Puis il enfonce le clou : la lettre du 21 août ne contenait aucune injonction. Pas de suspension. Pas de condition. Pas de pouvoir d’appréciation permettant au MINSEP de « paralyser le fonctionnement d’une fédération sportive reconnue par l’État ».

C’est un rappel à l’ordre juridique, mais aussi un avertissement politique : un ministère ne peut pas tordre les textes pour obtenir un résultat.Après avoir posé les bases, Eto’o déroule son argumentaire en rendant les choses très claires : le processus électoral n’est pas une zone de cogestion. C’est un domaine réservé. « La conduite du processus électoral relève exclusivement des organes statutaires de la FECAFOOT », insiste-t-il, soulignant que le rôle du Ministère est « d’observer, non de conditionner ».

C’est la phrase la plus citée depuis la publication de la lettre — celle qui transforme la correspondance feutrée en bras de fer institutionnel. Eto’o va même jusqu’à évoquer les risques de sanctions internationales pour ingérence administrative, rappelant que la FIFA surveille rigoureusement toute intervention politique dans les élections fédérales.

En réalité, son texte ressemble moins à une défense qu’à une contre-attaque institutionnelle. En filigrane, il accuse le MINSEP de pression. D’orientation. De tentative d’influence. Et laisse entendre que ce positionnement pourrait exposer l’État à un contentieux international. Pour les soutiens de la fédération, c’est une frappe chirurgicale. Pour ses détracteurs, un défi frontal à la Tutelle.

Pendant que les débats juridiques enflamment les réseaux sociaux, un autre document, bien plus discret, tombe comme un couperet. Quelques heures seulement après la lettre d’Eto’o, la FECAFOOT rend publique la liste des candidatures officiellement retenues.

Le timing est parlant. Le geste, calculé. L’effet, immédiat. Le document ne laisse aucune ambiguïté : Samuel Eto’o est le seul candidat au poste de président. Aucun concurrent sur la ligne de départ. Aucun nom face au sien.

Deux prétendants avaient pourtant déposé leur dossier : Yannick Heumo et Georges Kalgong. Ils sont recalés pour des raisons strictement administratives : absence de parrainages, dossiers incomplets, documents non conformes, déclarations d’intégrité irrégulières.

Dans les milieux du football, cela relance un vieux débat : s’agit-il de l’application rigoureuse du règlement, ou d’une élimination technique des concurrents ? Les partisans parlent d’exigence ; les sceptiques évoquent un hors-jeu organisé. Mais l’effet le plus fort n’est pas dans la présidence : il est dans la composition du Comité exécutif.

Dix-neuf noms validés. Des représentants de toutes les Ligues régionales, du football féminin, des clubs professionnels, et même des corps de métier. Une architecture complète, prête pour le scrutin — comme si, malgré les tempêtes, la machine électorale poursuivait imperturbablement sa marche.

On retrouve notamment : Harouna Gambo pour l’Adamaoua, Gabriel Bomba Messi et Michel Mbida pour le Centre, Djamfir Arthur pour l’Est, Garba Mahamat et Oumar Bichair pour l’Extrême-Nord, Mongue Nyamsi et Em Christian pour le Littoral, Kakmeni Lazare et Fouedjou Norbert pour l’Ouest, Enganamouit Gaëlle au titre des corps de métier, et bien d’autres.

Une liste qui sent davantage la continuité que la rupture. La FECAFOOT clôt sa note en rappelant que ces candidatures sont conformes à la directive du 06 novembre 2025 et aux statuts électoraux. À l’intérieur, rien ne laisse apparaître la crise extérieure. C’est une sorte de monde parallèle : pendant que les ministères s’invectivent, la machine interne continue de tourner.

Et c’est précisément cette image — celle d’une fédération avançant coûte que coûte — qui transforme la journée du 14 novembre en un vrai tournant politique. D’un côté, une Tutelle qui veut suspendre. De l’autre, une FECAFOOT qui accélère. Entre les deux, une date — le 29 novembre — qui s’approche comme un point de rupture.

Le récépissé qui bouleverse tout : un “oui” administratif dans un champ de “non” politiques

Comme dans toute dramaturgie où chaque acte semble chercher son contrechamp, un autre document resurgit, presque à contretemps : un récépissé de manifestation publique, signé le 10 novembre 2025 par le Sous-préfet de Mbankomo. Un papier d’apparence anodine, timbré, daté, administratif jusqu’à la typographie… mais dont la portée résonne aujourd’hui comme une véritable fracture dans le dispositif étatique.

Ce que ce document dit est simple, limpide, presque désarmant dans sa neutralité bureaucratique : l’Assemblée générale élective de la FECAFOOT du 29 novembre a bel et bien été déclarée, enregistrée, autorisée et validée par l’autorité administrative locale.

Et plus encore : elle peut se tenir “dès 08 heures” au Centre d’Excellence de la CAF à Mbankomo. Dans cet écrit, rien n’est laissé au hasard. Le Sous-préfet avertit, comme le veut la loi, que tout trouble majeur pourrait entraîner une interdiction, mais l’essentiel est déjà acté : le feu vert a été donné.

C’est à cet instant précis que le football camerounais bascule dans une zone trouble, une région grise où le droit administratif, le droit sportif et le droit coutumier des rapports entre institutions ne semblent plus chanter la même partition : Le MINSEP dit non à la tenue de l’élection et refuse d’envoyer ses représentants ; Le MINAT est officiellement saisi pour interdire la même élection ; Le Sous-préfet — représentant du MINAT sur le terrain — a déjà dit oui, noir sur blanc ; La FECAFOOT, elle, maintient le cap, persuadée que l’autorisation locale suffit et que ses textes prévalent sur tout.

C’est un paradoxe institutionnel presque théâtral : un triple arbitrage, mais sans arbitre central clairement établi. Un match où chaque acteur brandit son propre règlement. Un terrain où le sifflet de l’État ne semble plus avoir une seule main légitime pour le tenir.

Ce récépissé devient alors plus qu’un simple document administratif : il devient une pièce à conviction, un pivot dans la bataille narrative, un élément que chaque camp interprète comme un signe de sa propre légitimité.

Pour la FECAFOOT, c’est un “la loi est de notre côté”. Pour le MINSEP, c’est un “autorisation ou pas, l’élection n’est pas conforme”. Pour le MINAT, c’est un dilemme institutionnel : désavouer son propre représentant local ou prendre acte d’un processus déjà enclenché.

Et au milieu, le public observe un match où les décisions ne se succèdent plus… elles se contredisent. La suite dépend maintenant d’une seule décision : celle du gendarme de la république ( Paul Atanga Nji).


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