Afrique| Crise en RDC : Quand trop de médiateurs étouffent la médiation

Tour à tour, Uhuru Kenyatta, Olusegun Obasanjo, Hailemariam Desalegn ou encore João Lourenço ont été dépêchés pour tenter d’éteindre l’incendie qui ravage l’Est de la RDC. Désormais, c’est au président togolais Faure Gnassingbé que l’Union africaine confie la mission de médiation. Mais après tant d’initiatives avortées, ce nouveau relais diplomatique ne révèle-t-il pas surtout les limites de l’action collective sur ce dossier brûlant ?

L’adage veut que l’on peaufine un ouvrage en le reprenant sans relâche, mais la médiation diplomatique n’est pas une œuvre d’orfèvre que l’on polit à l’infini. À force de multiplier les émissaires, on risque plutôt de diluer le message, d’affaiblir l’autorité du médiateur et de semer le doute chez les protagonistes. C’est pourtant dans ce climat d’usure que s’inscrit la récente désignation de Faure Gnassingbé.

Le président togolais, selon son chef de la diplomatie Robert Dussey, a été mandaté par l’Union africaine pour tenter de dénouer l’interminable crise dans l’Est de la RDC. Une mission complexe, confiée à un acteur de plus dans une longue liste d’envoyés spéciaux passés par là. Le chef de l’État togolais entend, selon son ministre, « contribuer activement à la recherche d’une paix durable ».

Une formule aussi prudente (« contribuer ») qu’ambitieuse (« paix durable »), à l’image d’une diplomatie africaine souvent confrontée à la complexité de la région des Grands Lacs. Mais peut-on encore espérer du neuf, quand tant d’envoyés spéciaux s’y sont cassé les dents ?

João Lourenço, la parenthèse angolaise

Mandaté par l’Union africaine, le président angolais João Lourenço avait porté le processus de Luanda, une tentative de médiation directe entre Kinshasa et Kigali. En novembre 2022, il avait réussi à arracher un cessez-le-feu entre les deux parties, incluant le retrait du M23 des zones occupées, mais cette trêve, comme les suivantes, a rapidement volé en éclats.

En mars 2025, João Lourenço se retire officiellement du dossier, invoquant son agenda de président en exercice de l’Union africaine. Mais pour beaucoup, ce départ illustre l’essoufflement d’un processus qui peinait à produire des résultats concrets.

Uhuru Kenyatta, l’émissaire du processus de Nairobi

De son côté, l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta avait été désigné comme facilitateur du processus de Nairobi, soutenu par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Sa mission était de dialoguer avec les groupes armés opérant dans l’Est de la RDC, à l’exclusion du M23, perçu comme trop lié au Rwanda.

Kenyatta avait réussi à organiser plusieurs rondes de pourparlers entre milices et autorités congolaises, sans grand résultat tangible. Le M23, principal belligérant, n’a participé à aucune session officielle, tandis que Kinshasa, en désaccord avec la position jugée conciliante de certains États de l’EAC, a fini par remettre en question la pertinence même du processus.

Olusegun Obasanjo et Hailemariam Desalegn, la double médiation continentale

Avant Kenyatta et Lourenço, l’Union africaine avait confié la médiation à deux figures du continent : l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ex-Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, dans le cadre d’une mission conjointe UA-CIRGL.

Leur approche était de favoriser une solution panafricaine, en incluant un maximum d’acteurs étatiques et non étatiques dans des discussions régionales tenues notamment à Dar es Salaam.

Leur action s’est heurtée à un manque d’adhésion des principaux protagonistes et à la méfiance générale. Aucun accord significatif n’a vu le jour sous leur médiation.

Le Qatar, acteur parallèle et discret

Parallèlement aux efforts africains, le Qatar a discrètement tenté une médiation, dans la droite ligne de sa diplomatie d’influence. Doha a facilité des discussions bilatérales indirectes entre Kigali et Kinshasa, misant sur la neutralité de son statut hors-région.

Ces efforts, s’ils ont été salués pour leur approche confidentielle, n’ont jamais abouti à des engagements clairs ni à une réduction tangible des hostilités.

Le désordre des bons offices

La demi-douzaine de trêves et cessez-le-feu décrétés ces derniers mois dans l’Est de la RDC ont tous rapidement fait long feu. Et le président togolais ne vient pas seulement prolonger le processus de Luanda.

Il devra composer avec les tentatives avortées du processus de Nairobi, avec les médiations passées de Dar es Salaam, et même avec les initiatives plus discrètes du Qatar. Le risque est de voir les discussions se superposer, les démarches se neutraliser, et les avancées, déjà timides, s’évaporer dans la confusion.

Faure Gnassingbé devra donc pallier la dispersion des efforts induits par la multiplication des canaux de discussions. Il héritera d’un empilement de processus aux logiques souvent concurrentes, sans véritable coordination interinstitutionnelle.

Fusionner Luanda, Nairobi et Doha relèvera d’un exercice diplomatique particulièrement délicat, d’autant que l’Union africaine, l’EAC et la SADC ne parlent pas toujours le même langage géopolitique.

Un chantier diplomatique titanesque

L’impénétrable président togolais aura ainsi la lourde tâche de refonder une médiation unique et crédible, intégrant les dynamiques régionales et les attentes d’un Congo désabusé par les promesses non tenues. Et tout cela devra passer, dans un premier temps, par le patient tissage de liens de confiance — une étape que ses prédécesseurs n’ont jamais vraiment franchie.

Le processus de Lomé qu’il pourrait initier aura-t-il plus de chance de survivre à l’épreuve du terrain que ses prédécesseurs ? Ou assistera-t-on à un nouveau cycle de médiation sans impact, dans une crise qui, elle, continue d’engloutir des vies et de déstabiliser toute une région.

Constantin GONNANG avec Jeune Afrique pour Afrik inform
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