« La vérité est rarement pure, et jamais simple ». — Oscar Wilde. Au Burkina Faso, cette maxime trouve une résonance particulière. Le gouvernement a annoncé l’arrestation de huit employés de l’ONG International NGO Safety Organisation (INSO), dont quatre étrangers, soupçonnés d’espionnage et de trahison. Une affaire explosive qui brouille la frontière entre humanitaire et renseignement, et jette un froid sur les relations déjà tendues entre Ouagadougou et ses partenaires occidentaux.
Derrière les murs du ministère de la Sécurité, l’accusation sonne comme un séisme diplomatique : l’organisation est soupçonnée d’avoir collecté des informations sensibles sur les positions de l’armée et les opérations de sécurité, pour le compte de puissances étrangères.
Une enquête qui éclabousse le monde humanitaire
C’est lors d’un point de presse conjoint tenu à Ouagadougou que le ministre burkinabé de la Sécurité, Mahamadou Sana, accompagné du porte-parole du gouvernement, Gilbert Ouédraogo, a révélé les premiers éléments de l’enquête. Selon lui, l’ONG INSO, suspendue depuis le 31 juillet 2025, aurait poursuivi clandestinement des activités jugées « contraires aux intérêts de la nation ».
« INSO passait son temps à collecter des informations sur les zones d’opération ainsi que sur les interventions des forces de défense et de sécurité sur le terrain », a déclaré Mahamadou Sana, évoquant un réseau de collecte d’informations supposément destiné à des puissances étrangères.
Parmi les personnes interpellées figurent Jean-Christophe Pégon, directeur pays de nationalité française, sa directrice adjointe franco-sénégalaise, le directeur des programmes tchèque, un citoyen malien ainsi que quatre employés burkinabés.
Les autorités militaires affirment que ces personnes seront présentées devant le procureur du Faso pour répondre des accusations d’espionnage et de trahison, des faits d’une gravité extrême en période de tensions sécuritaires.
Une ONG au cœur d’une tempête diplomatique
Fondée en 2011, INSO est une organisation internationale opérant dans une vingtaine de pays, spécialisée dans la sécurité du personnel humanitaire et la collecte d’informations de terrain destinées à appuyer les ONG dans leurs missions.
Mais pour Ouagadougou, cette « collecte d’informations » s’apparenterait davantage à une activité de renseignement dissimulée. Le ministre Mahamadou Sana a affirmé que malgré la suspension officielle des activités de l’ONG, certaines équipes auraient continué à travailler en secret.
« Malgré cette suspension, certains responsables d’INSO ont continué à mener clandestinement des activités telles que des collectes d’information et des réunions en présentiel ou en ligne », a-t-il insisté.
Ces déclarations viennent raviver un climat déjà tendu entre le régime du capitaine Ibrahim Traoré et plusieurs ONG occidentales, souvent accusées par les autorités burkinabés d’ingérence, voire d’espionnage.
L’ONG se défend : “Associer notre travail à du renseignement est faux et dangereux”
Face à ces accusations, INSO a rapidement réagi par la voie d’un communiqué publié depuis son siège régional. « Associer notre travail de renforcement de la sécurité humanitaire à des activités de renseignement est non seulement faux, mais ne fera qu’accroître les risques pour les travailleurs humanitaires », déclare l’organisation, qui dit rejeter catégoriquement les accusations portées à son encontre.
Interrogé par les médias, Jafar Bishtawi, conseiller en sécurité et responsable de la cellule de crise d’INSO, a exprimé son incompréhension : « C’est complètement faux. Il s’agit sans doute d’une mauvaise compréhension de ce que nous faisons, car notre travail est transparent et toujours conduit en coordination avec les autorités locales et les porteurs d’armes ».
INSO indique concentrer désormais tous ses efforts sur la libération de ses employés. « Notre première priorité reste le bien-être et la libération de nos collègues. Nous poursuivons notre engagement avec les autorités burkinabées et nos partenaires diplomatiques pour résoudre cette situation dans les plus brefs délais », ajoute Bishtawi.
Une accusation aux répercussions géopolitiques
L’affaire INSO s’inscrit dans une dynamique régionale plus large, où plusieurs États du Sahel ont récemment resserré leur contrôle sur les ONG internationales.
Le Mali, le Niger et désormais le Burkina Faso ont adopté une lecture souverainiste de la coopération humanitaire, estimant que certaines organisations dissimulent des missions d’observation stratégique au profit d’intérêts étrangers.
Pour un diplomate africain en poste à Addis-Abeba, cette situation traduit une crise de confiance : « Les autorités de transition au Sahel veulent reprendre le contrôle total de l’information sur le terrain. Elles considèrent que les ONG, même bien intentionnées, peuvent être des relais involontaires d’informations sensibles ».
Mais pour la communauté humanitaire, cette tendance est inquiétante. L’arrestation d’agents humanitaires, accusés d’espionnage, met en danger la neutralité du travail humanitaire, fondement du droit international. Plusieurs observateurs redoutent un effet domino, où la suspicion systématique viendrait fragiliser la présence d’ONG dans les zones de conflit.
Vers une crise humanitaire silencieuse ?
Le Burkina Faso, en proie à une insécurité persistante et à des déplacements massifs de populations, dépend fortement du soutien logistique et technique des ONG internationales. Suspendre ou expulser ces acteurs risquerait d’aggraver une crise déjà alarmante, selon plusieurs sources humanitaires.
INSO, qui opère dans des zones à haut risque, a souvent été saluée pour son travail de veille et de sécurité au profit d’autres ONG. Mais aujourd’hui, son image est profondément écornée à Ouagadougou.
Tandis que les diplomaties française et tchèque suivent de près le dossier, les autorités burkinabées campent sur leur position, déterminées à faire la lumière sur ce qu’elles présentent comme un “réseau d’espionnage déguisé en mission humanitaire”.
Une affaire test pour la diplomatie sahélienne
Au-delà du cas INSO, cette affaire constitue un test de souveraineté pour le Burkina Faso, qui affirme vouloir rompre avec les modèles de coopération jugés « paternalistes ».
Pour les observateurs, elle pourrait également redéfinir les contours de la relation entre Ouagadougou et ses partenaires occidentaux, dans un climat mondial marqué par le retour de la méfiance stratégique.
Dans l’attente d’un éventuel procès, les huit employés de l’ONG restent détenus. L’organisation, elle, poursuit ses démarches diplomatiques et appelle la communauté internationale à la mobilisation pour la libération de son personnel.
Mais une question, lourde de symboles, reste en suspens : Jusqu’où peut aller un État dans la protection de ses secrets sans briser le lien fragile entre sécurité nationale et humanité partagée ?
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