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À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, portrait de Djaïli Amadou Amal, écrivaine camerounaise dont les romans sont devenus des manifestes contre les violences faites aux femmes. De son enfance à Maroua à son statut d’icône littéraire, son parcours est marqué par la résilience et l’engagement.
Djaïli Amadou Amal naît en 1975 à Maroua, dans le département du Diamaré, au Cameroun. Son père, juriste et professeur d’arabe, et sa mère, d’origine égyptienne, lui donnent un prénom inspiré de la chanson Amal Hayati de la célèbre Oum Kalthoum.
Issue d’une famille peule attachée aux traditions, elle grandit dans un environnement où le rôle des femmes est strictement défini. « Chez nous, une femme n’a pas voix au chapitre », confiera-t-elle plus tard.
À 17 ans, elle est contrainte à un mariage forcé avec un homme de cinquante ans. Prisonnière d’un quotidien étouffant, elle trouve refuge dans la lecture et l’écriture. Après cinq ans, elle parvient à quitter cette union. Mais son deuxième mariage, loin d’être une délivrance, devient un autre calvaire.
Victime de violences conjugales, elle finit par s’en séparer, non sans conséquences. Son ex-mari, par vengeance, enlève leurs deux filles. Installée à Yaoundé, Djaïli Amadou Amal doit se reconstruire seule. Diplômée d’un BTS en gestion, elle enchaîne les petits boulots et vend des bijoux pour survivre. Son salut viendra de l’écriture.
Littérature et combat pour les droits des femmes
En 2010, elle publie Walaande, l’art de partager un mari. Inspiré de son vécu, ce roman raconte l’histoire de quatre femmes mariées au même homme, dans un système de polygamie où elles doivent se résigner à « attendre leur tour ».
L’ouvrage lui vaut le prix du jury de la Fondation Prince Claus à Amsterdam et une reconnaissance immédiate. Il sera traduit en arabe et diffusé au Maghreb et au Moyen-Orient. Forte de ce succès, elle fonde en 2012 l’association Femmes du Sahel, soutenue par l’ambassade des États-Unis au Cameroun. Cette organisation milite pour l’éducation des jeunes filles et la lutte contre les violences faites aux femmes.
Son deuxième roman, Mistiriijo, la mangeuse d’âmes (2013), explore les méfaits des mariages forcés et des pesanteurs sociales pesant sur les femmes. Il la hisse parmi les cinq femmes les plus influentes du Nord-Cameroun selon le journal L’Œil du Sahel.
Avec Munyal, les larmes de la patience (2017), elle atteint une nouvelle dimension. Le roman, qui signifie « patience » en peul, décrit la souffrance silencieuse des femmes soumises aux violences conjugales et familiales.
L’œuvre est couronnée du 1er Prix Orange du Livre en Afrique et du Prix de la presse panafricaine de littérature. Il est inscrit au programme scolaire camerounais, signe de son impact durable sur la jeunesse.
« Les Impatientes » : la consécration internationale
En 2020, Munyal est retravaillé et publié en France sous le titre Les Impatientes aux éditions Emmanuelle Collas. L’objectif ? Le rendre plus universel, pour toucher un public mondial.
Le roman intègre la sélection du prestigieux prix Goncourt, faisant d’elle la première Africaine finaliste depuis 1975. Finalement, elle remporte le Goncourt des Lycéens. « Je voulais montrer que le silence des femmes n’est pas un consentement, mais une résignation imposée » , explique-t-elle.
Le succès est fulgurant : Les Impatientes devient un best-seller, traduit en plus de vingt langues et vendu à plus de 250 000 exemplaires. Il figure parmi les romans les plus vendus de l’année 2020, juste derrière L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, lauréat du Goncourt.
L’adaptation audio du roman reçoit le Prix France Culture en 2022. En Allemagne, la version traduite Die Ungeduldigen Frauen est nommée au Prix de Littérature Jeunesse 2023.
Une reconnaissance nationale et internationale
À son retour au Cameroun après le Goncourt des Lycéens, Djaïli Amadou Amal est accueillie en triomphe. Médias, fans et officiels se pressent à l’aéroport pour célébrer son succès. Le président Paul Biya la félicite officiellement et la cite en exemple dans son discours du 11 février 2021.
Elle est nommée Ambassadrice de l’UNICEF, et figure parmi les dix femmes qui ont marqué l’année selon France 24. Le 29 novembre 2021, elle reçoit à Paris le prix de la Femme d’Influence Culturelle. En avril 2022, elle est sacrée Autrice de l’année en France lors des Trophées de l’Édition.
Son engagement est aussi salué par l’université Sorbonne Nouvelle, qui lui décerne en novembre 2022 un doctorat honoris causa en hommage à sa contribution aux arts et à la francophonie.
« Cœur du Sahel » : dénoncer le mariage par rapt
En 2022, elle publie Cœur du Sahel, un roman qui met en lumière une autre forme de violence : les mariages par enlèvement. « Dans certaines régions du Nord-Cameroun, un homme peut enlever une femme pour l’épouser et la violer publiquement, sans que personne ne s’indigne », dénonce-t-elle dans Jeune Afrique.
Le roman est couronné de plusieurs prix : Grand Prix Littéraire du Mont Cameroun, Prix des Lecteurs de Clamart, Prix de Gaulle et Choix Goncourt de l’été.
À travers ce livre, Djaïli Amadou Amal élargit son combat en s’intéressant à une autre catégorie de femmes vulnérables : les domestiques. « Elles sont souvent la proie de leurs employeurs et subissent des violences en silence », souligne-t-elle.
Une voix qui ne faiblit pas
Djaïli Amadou Amal est plus qu’une écrivaine : elle est devenue une porte-parole des femmes victimes d’injustices. Son œuvre, à mi-chemin entre la fiction et le témoignage, continue de briser les tabous et de donner une voix aux oubliées.
Son influence dépasse les frontières. Invitée sur de nombreuses scènes littéraires, elle incarne une littérature engagée et nécessaire. « Écrire, c’est résister», répète-t-elle souvent.
Une résistance portée par une plume incisive, qui refuse de se taire face aux violences subies par les femmes.
Constantin GONNANG, AFRIK INFORM ☑️