Cameroun | Issa Tchiroma quitte le gouvernement à quatre mois de la présidentielle : vers une candidature en gestation ?

Il n’y a eu ni conférence de presse (pour le moment), ni déclaration télévisée. C’est dans une lettre adressée au Premier ministre que le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Issa Tchiroma Bakary, a formalisé son souhait de quitter le gouvernement.

Une décision discrète dans la forme, mais qui ne saurait échapper aux lectures politiques, tant le moment choisi soulève des interrogations. À moins de quatre mois de l’élection présidentielle, l’acte d’un homme rompu aux logiques de pouvoir pourrait bien être le prélude à une nouvelle ambition.

Une décision silencieuse, mais pas anodine

La date du 23 juin 2025 pourrait marquer un tournant dans la trajectoire d’un fidèle du régime. Ministre depuis 2009, ancien porte-parole du gouvernement, figure familière des plateaux télé, Issa Tchiroma s’était construit l’image d’un défenseur inflexible des institutions et d’un soutien inébranlable du chef de l’État. Que signifie dès lors ce départ soudain, alors même que le pays entre dans la phase préparatoire de la présidentielle ?

Aucune raison officielle n’a été communiquée. Mais selon plusieurs sources proches de l’exécutif, la lettre a été rédigée sans conflit apparent. «Excellence, Monsieur le Président de la République, cette décision ne procède ni d’un désaveu personnel, ni d’un calcul politicien, mais d’un impératif moral : celui de rester fidèle aux engagements pris auprès de nos populations». Peut-on lire dans le communiqué qu’à adressé l’ex ministre au chef de l’état.

Des signes de repositionnement

Depuis quelque temps, des mouvements internes au Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), le parti que Tchiroma a fondé en 2007, laissaient présager un regain d’activité. Dans la région du Nord, plusieurs réunions locales ont été organisées, des coordonnateurs nommés, et des supports de communication mis à jour.

Rien d’officiellement lié à la présidentielle, mais assez pour nourrir les spéculations.“Issa Tchiroma est un acteur rationnel. Il ne quitte pas le gouvernement par lassitude. C’est quelqu’un qui ne se retire que pour mieux revenir”, commente un politologue de l’université de Yaoundé II. Ce dernier rappelle qu’en 1997 déjà, l’ancien prisonnier politique s’était porté candidat à la présidentielle, avant de rejoindre plus tard les rangs du pouvoir. Une trajectoire faite de virages, mais jamais de sortie de route.

Une fenêtre politique, ou un calcul ?

Avec l’absence d’un dauphin déclaré au sein du RDPC et l’essoufflement visible de plusieurs figures de la majorité, certains cadres du Nord s’agitent pour occuper l’espace. Le nom de Tchiroma circule parmi ceux qui pourraient incarner une continuité dans la rupture : ni totalement dans l’opposition, ni associé à l’impopularité d’un régime finissant. “Il a le bagage, le verbe, la carte régionale. Et il a su entretenir son image auprès de certaines bases populaires”, analyse un journaliste politique.

À ce stade, rien n’indique formellement une déclaration de candidature. Mais le retrait du gouvernement, s’il venait à être accepté, lui redonnerait une liberté de parole et de mouvement. Il pourrait aussi lui permettre d’aborder la campagne sans le poids d’un portefeuille ministériel, dans une posture d’homme d’expérience qui ne demande qu’à servir encore.

Un silence pesant du côté d’Etoudi

L’exécutif n’a, pour l’heure, pas officiellement réagi à la lettre de démission. Le silence est d’autant plus marquant que Tchiroma faisait partie des rares ministres à être maintenus d’un remaniement à l’autre depuis plus de dix ans. Une longévité que beaucoup interprétaient comme la preuve d’un pacte tacite entre l’homme et le sommet du pouvoir. Son départ, s’il est acté, en briserait les termes.

Dans les rangs du RDPC, plusieurs responsables interrogés disent “attendre la confirmation” avant de commenter. Une prudence révélatrice. Car au-delà de l’homme, c’est une certaine architecture de loyautés et de calculs qui semble vaciller à l’approche du scrutin de 2025.

Avec cette décision, Issa Tchiroma redevient ce qu’il n’a peut-être jamais cessé d’être : un électron libre dans un système verrouillé, un homme qui choisit ses batailles et dont les silences sont parfois plus bruyants que les discours. Reste à savoir si cette sortie du gouvernement est la fin d’un cycle ou le premier acte d’un retour au front électoral.

À Garoua, à Yaoundé, et dans les cercles de pouvoir, la question est désormais ouverte : Tchiroma quitte-t-il pour se reposer ou pour reprendre sa marche ? Dans un pays où les ambitions s’expriment rarement à voix haute, il a peut-être déjà répondu… à sa manière.

Afrik inform ☑️