Prévue pour 14 heures mais ouverte à 17 heures, la rencontre entre le ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, et la presse nationale et étrangère s’est tenue dans un climat de courtoisie, trois jours avant la proclamation des résultats de la présidentielle du 12 octobre. Face à une salle pleine de journalistes impatients, le porte-parole du gouvernement a livré un discours empreint de fermeté et de gravité, appelant les médias à “jouer le rôle d’extincteur” pour préserver la paix et la cohésion sociale. Une exhortation qui a vite cédé la place à des échanges francs sur la condition des professionnels de la presse au Cameroun.
« Mesdames et Messieurs, le ministre de la Communication », annonce la responsable du service de communication du ministère. À ces mots, toute la salle se lève. La porte latérale de l’auditorium s’ouvre lentement, laissant entrer René Emmanuel Sadi, droit et impassible, suivi de Félix Zogo, Secrétaire général du ministère, et de l’Inspecteur général.
Dans la salle comble, les journalistes de toutes obédiences — presse écrite, radio, télévision et médias en ligne — s’étaient installés depuis plusieurs heures déjà, carnet ou micro à la main, prêts à saisir le moindre mot du ministre.
Parmi eux, plusieurs figures familières du milieu médiatique camerounais, mais aussi des cadres du ministère : conseillers techniques, inspecteurs, directeurs, responsables des entreprises de presse, promoteurs de chaînes et de médias cybernétiques, sans oublier quelques invités de marque.
Sous la lumière crue des néons, les objectifs des caméras s’orientent vers la table d’honneur. L’air, brassé par les climatiseurs muraux, semble vibrer d’une tension sourde. Les visages sont fatigués mais concentrés.
Car ce 24 octobre 2025, il ne s’agit pas d’une simple rencontre protocolaire : trois jours avant la proclamation des résultats de la présidentielle, le pays retient son souffle. Et dans cet auditorium du ministère de la Communication, le pouvoir et la presse s’observent, conscients que chaque mot compte.
“Les Camerounais se sont rendus aux urnes dans le calme et la discipline”
Le ministre de la Communication a ouvert son propos d’une voix posée, saluant “les professionnels des médias, piliers de toute société démocratique”.
« Je vous remercie d’avoir répondu si nombreux à l’invitation », a-t-il déclaré, rappelant que cette rencontre s’inscrivait « dans le cadre de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, qui connaîtra son épilogue avec la proclamation des résultats le 27 octobre prochain » .

Il a ensuite rendu hommage à la maturité du peuple camerounais : « Les Camerounais se sont rendus aux urnes dans le calme et la discipline, pour désigner celle ou celui qui présidera aux destinées de notre pays pour les sept prochaines années» .
Mais le ton s’est rapidement durci lorsque le ministre a évoqué “les allégations hâtives” et “revendications dénuées de fondement” apparues dans certaines sphères médiatiques et politiques avant même la proclamation officielle des résultats. « Ces affirmations jettent le discrédit sur les institutions et menacent la cohésion nationale », a-t-il insisté.
« Votre rôle doit être celui de l’extincteur »
C’est dans ce climat de fébrilité nationale que René Emmanuel Sadi a lancé son appel le plus marquant de la soirée : « Au lieu de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les flammes que certains veulent absolument allumer, votre rôle doit être celui de l’extincteur, de l’apaisement, de la promotion de la paix et de la démocratie dans notre pays » .
Les mots ont flotté dans la salle, lourds d’une charge à la fois morale et politique. Le ministre, en porte-parole du gouvernement, s’adressait autant aux journalistes présents qu’à l’opinion publique qu’ils influencent. « Les médias, a-t-il rappelé, sont des relais structurants de l’opinion publique et des remparts de protection des valeurs fondamentales de la République » .
Dans sa bouche, la presse devenait une institution quasi civique, garante du “bien-être collectif” et de la “stabilité nationale”. Une rhétorique qui plaçait les journalistes à la fois au centre du jeu et face à leur responsabilité : défendre la vérité sans devenir des acteurs du désordre. « Agir de la sorte, a-t-il poursuivi, n’est pas une atteinte à la liberté de la presse. C’est au contraire une manière de la mettre au service des valeurs vitales de la société » .
Quand la presse devient le sujet
Le discours s’est ensuite fait plus large, englobant un thème que le ministre connaît bien : les dérives numériques et la désinformation sur les réseaux sociaux. « Les réseaux sociaux, a-t-il martelé, sont devenus une véritable foire d’empoigne où tout semble être permis, entre invectives et fake news. Pourtant, cet espace ne constitue en rien une zone de non-droit » .
René Emmanuel Sadi a rappelé que la liberté d’expression ne saurait se confondre avec la licence de détruire.« La responsabilité et le respect des lois doivent guider chaque publication, chaque post, chaque mot ». Ce passage, l’un des plus applaudis, sonnait comme une mise en garde contre la “désinformation malvenue” qui, selon lui, “fragilise la paix sociale”.

L’auditorium, jusque-là silencieux, s’est alors mis à bruisser de murmures. Certains journalistes prenaient des notes, d’autres levaient les yeux vers le ministre, cherchant à déceler la part de fermeté et celle de compréhension dans son ton.
Sous les néons, la presse se met à nu
Après ce long plaidoyer pour la responsabilité médiatique, la parole a été ouverte à la salle. Évelyne Owona À Koung, présidente de l’Union de la presse francophone, a été la première à intervenir : « Les tensions post-electorales dans les jeunes démocraties sont classiques, dans une jeune démocratie comme la nôtre, la responsabilité des journalistes est immense. Il nous faut informer sans attiser, expliquer sans enflammer » , a-t-elle expliqué.
Mais la suite a pris une tournure plus revendicative. Jules Brice Ngaba, du journal Le Quotidien, s’est éloigné du thème pour évoquer la condition du journaliste camerounais : salaires misérables, pressions, absence de couverture sociale. « Nous sommes toujours appelés quand il faut éteindre les feux du chaos, mais jamais quand il faut partager l’argent » , assène t’il devant l’auditoire, « Nous n’avons jamais rien, les journalistes souffrent, ne nous méprisez plus », poursuit t’il.
Jean Jacques Zé, représentant la Mutuelle des journalistes camerounais (Mujac), a ensuite pris la parole devant l’auditoire. Avec assurance, il a rappelé que cette association, fondée en 2015 sous l’impulsion du journaliste Zéphyrin Kokolo, œuvre elle aussi sur le terrain de la paix et multiplie actuellement des initiatives dans ce sens.
Mais très vite, son ton s’est fait plus grave. Rebondissant sur les propos de Jules Brice Ngaba, il a évoqué à son tour la précarité du métier, la fragilité des revenus et la lassitude d’une profession souvent sollicitée sans être considérée. « Le ventre réclame aussi ! », a-t-il lâché, entre colère et épuisement, arrachant quelques murmures approbateurs dans la salle.
« Si ça brûle, nous brûlons tous »
Il était près de 19 heures lorsque le ministre a repris la parole pour conclure. L’atmosphère s’était adoucie. « Je suis déjà au courant de vos problèmes, a-t-il dit, et je fais tout pour les résoudre. Mais n’oublions pas que le Cameroun nous appartient à tous. Si ça brûle, nous brûlons tous, jouez votre responsabilité, d’autres joueront la leurs » , Conclut-il.
La phrase, simple et imagée, a fait mouche. Dans cette salle saturée d’émotions et d’espoir, elle a résonné comme une promesse de vigilance commune. La conférence s’est achevée dans les applaudissements. À la sortie, certains journalistes échangeaient encore sur les bancs gris, d’autres repliaient leurs trépieds.
Dehors, la nuit s’était installée sur Yaoundé. Et dans l’air, il restait ce double écho : celui d’un ministre qui appelle à la responsabilité des journalistes dans cette période cruciale, et celui d’une presse qui demande à être enfin écoutée.
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