Quelques jours après le scrutin présidentiel du 12 octobre, plusieurs villes camerounaises ont été secouées par des scènes de tension. À Dschang, Douala, Bazou et Limbe, la colère de certains partisans d’Issa Tchiroma Bakary a dégénéré en affrontements, incendies et interpellations. Les accusations de falsification de procès-verbaux ont enflammé les rues, plongeant le pays dans une atmosphère de contestation et de méfiance.
Dschang en flammes
La ville universitaire de Dschang, habituellement paisible, s’est transformée mercredi soir en théâtre de violences. Tout est parti d’un mouvement de protestation mené par des partisans d’Issa Tchiroma Bakary, qui dénonçaient ce qu’ils qualifient de “confiscation du vote populaire”. En quelques heures, la tension a viré à l’émeute : trois véhicules municipaux, deux camions compacteurs à déchets et un camion benne appartenant à la commune ont été réduits en cendres. Le tribunal, le parquet et la maison du parti RDPC n’ont pas échappé aux flammes.
Les manifestants ont également pris d’assaut le domicile du recteur de l’université, l’accusant d’être impliqué dans les manipulations de procès-verbaux. Une escouade de gendarmerie dépêchée depuis Bafoussam a procédé à plusieurs arrestations, rétablissant un calme précaire dans la nuit. Des coups de feu ont été entendus dans plusieurs quartiers, semant la panique parmi les habitants.
Le colonel Abba Saidou, arrivé sur les lieux dans la soirée, a coordonné le retour à l’ordre public. Mais à l’aube, la tension restait palpable. Des sources locales redoutent une reprise des affrontements, tant les revendications demeurent vives.
« Mon cœur saigne » — la réaction du ministre Jean de Dieu Momo
Face à l’incendie du Palais de justice de Dschang, symbole architectural de la ville, le ministre délégué à la Justice, Jean de Dieu Momo, n’a pas caché son indignation. Dans un message empreint d’émotion, il a qualifié cet acte de “vandalisme contre notre mémoire collective”. « Ce n’est pas n’importe quel bâtiment qui a été réduit en cendres. C’est un joyau du patrimoine bâti de Dschang », a-t-il écrit, déplorant que “la jeunesse de la Menoua ait laissé faire, impuissante ou indifférente”.
Pour le ministre, la destruction du palais, construit dans les années 1930, constitue une perte historique majeure pour la région. “Je pleure notre beau Palais de Justice, parti en fumée sous le regard des fils et filles de la Menoua”, a-t-il ajouté.
Douala : confusion et gaz lacrymogènes à Bonamoussadi
À Douala, les événements ont pris une tournure inattendue. Tout serait parti d’un homme ayant surpris des employés d’ELECAM en train de ranger le matériel électoral à l’antenne communale de Douala 5, à Bonamoussadi. Pensant assister à une tentative de “bourrage d’urnes”, il a donné l’alerte, attirant des moto-taximen et des badauds sur les lieux.
La tension est vite montée. Les forces de l’ordre, déployées pour disperser la foule, ont fait usage de gaz lacrymogènes. Des jeunes élèves de retour des classes ont été blessés, pris dans la confusion. Selon la délégation régionale d’ELECAM, un agent a été blessé au visage et au bras, après avoir été agressé par les manifestants.
Le préfet du Wouri, Syllyac Marie Mvogo, s’est rendu sur les lieux. Face à la foule interpellée, il a lancé : « Vous voulez proclamer les résultats avant le Conseil constitutionnel ? »
Quatorze moto-taximen ont été arrêtés. Le calme est revenu dans la soirée, mais sous haute surveillance policière.
Bazou et Limbe : la contestation s’étend
De l’Ouest au Littoral, la tension s’est propagée comme une onde. À Bazou, dans le département du Ndé, des dizaines d’habitants ont encerclé la sous-préfecture dans la matinée, réclamant la “vérité des urnes”. Les manifestants, visiblement frustrés par la lenteur du processus de dépouillement, accusaient les autorités locales d’avoir “retouché” certains procès-verbaux. La scène, tendue mais sans débordement majeur, s’est déroulée sous le regard des forces de sécurité, restées en position dissuasive à distance.
Plus au sud, dans la cité balnéaire de Limbe, le mécontentement a pris une tournure plus visible. Des groupes de jeunes ont envahi les rues du centre-ville, érigeant des barricades et brûlant des pneus en signe de protestation. Les odeurs de caoutchouc et de fumée se mêlaient à l’air marin, tandis que les sirènes de la police résonnaient au loin.
Les forces de l’ordre ont rapidement rétabli la circulation et dispersé les attroupements, sans qu’aucun blessé grave ne soit signalé. À Bazou comme à Limbe, la colère populaire semble désormais contenue, mais la méfiance reste entière — un écho des crispations qui gagnent peu à peu tout le pays.
« Le Conseil constitutionnel seul habilité à proclamer les résultats »
Face à la montée des tensions observées dans plusieurs localités, le gouvernement a tenu à rappeler le cadre légal qui encadre la proclamation des résultats. Dans un communiqué publié ce 15 octobre, le ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, porte-parole du gouvernement, a dénoncé la précipitation de certains acteurs politiques et médias à annoncer des chiffres non officiels, alors que « le scrutin du 12 octobre s’est achevé dans le calme ».
Sans citer nommément de candidat, le communiqué évoque « un des candidats en lice » qui se serait autoproclamé vainqueur à travers les réseaux sociaux, une démarche jugée contraire à la loi. René Emmanuel Sadi s’appuie sur les articles 62, 69 et 137 du Code électoral pour rappeler que seul le Conseil constitutionnel est habilité à arrêter et proclamer les résultats définitifs, dans un délai maximum de quinze jours après la clôture du scrutin.
Le ministre précise également que les différentes commissions de supervision — locales, départementales et nationale — disposent chacune de délais stricts pour transmettre leurs procès-verbaux, ajoutant que les représentants des candidats sont présents à toutes les étapes du processus. Toute proclamation anticipée, prévient-il, constitue « une atteinte grave à la réglementation en vigueur, avec toutes les conséquences de droit qui s’ensuivent ».
Dans une tonalité à la fois ferme et apaisante, René Emmanuel Sadi a invité les acteurs politiques, les médias et la société civile à « faire preuve de sens civique et de patriotisme », tout en exhortant les Camerounais à demeurer calmes et sereins jusqu’à la publication officielle des résultats par la juridiction compétente.
Alors que le dépouillement suit son cours et que le Conseil constitutionnel s’apprête à trancher, le pays retient son souffle. Dans les rues comme dans les couloirs des institutions, un même mot circule : attente.
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