Au soir du 27 octobre 2025, la scène politique camerounaise a connu un frisson inattendu : Cabral Libi’i, celui que ses partisans appelaient jadis « l’enfant prodige de la rupture », a trébuché lourdement. À peine 3,41 % des suffrages, contre 6,28 % en 2018. Une chute brutale, presque vertigineuse, pour celui qui s’était rêvé alternative nationale. Et comme si l’effondrement électoral ne suffisait pas, la tempête interne n’a pas tardé à souffler — démissions en cascade, colère des militants, silence gêné des cadres. La Vague Orange, jadis symbole de ferveur, s’est transformée en reflux amer. De l’espoir incandescent à la débâcle électorale, le leader du PCRN paie le prix d’une stratégie brouillée et d’un discours fatigué.
La campagne de Cabral Libi’i avait pourtant démarré comme un conte politique : des foules, des slogans, une caravane aux allures de pèlerinage populaire. De Kribi à Kousseri, il maniait le verbe et la ferveur avec la même assurance qu’un tribun en pleine ascension. Ses meetings débordaient d’enthousiasme, sa communication maîtrisée, son image lisse, presque messianique.
Mais entre la ferveur et les urnes, la réalité s’est invitée, crue. Le peuple qu’il croyait conquis s’est montré distant, parfois indifférent. Et dans ce duel d’endurance politique qu’incarne le Cameroun depuis quarante ans, la jeunesse du leader du PCRN n’a pas suffi à fissurer le roc du système Biya.
« Cabral a fait la plus belle campagne du pays, mais il n’a pas fait la plus intelligente », estime Dr. Florent Nkoa, analyste en communication politique. « Il a parlé au cœur, mais il n’a pas su parler à la stratégie. Le pouvoir n’écoute pas la ferveur, il lit les rapports de force » . Conclut t’elle.
Le 27 octobre, alors que le Conseil constitutionnel proclamait Paul Biya vainqueur pour un huitième mandat, Cabral Libi’i a choisi la voie de la légalité : un communiqué sobre, presque docile. Il « prend acte » et « félicite le candidat proclamé élu ». Quelques lignes polies, mais explosives.
Car sur les réseaux sociaux, le tollé a été immédiat. Les militants se sont sentis trahis, les cadres, désemparés. « Comment féliciter sans dénoncer ? », s’est indigné un membre du parti. « Où est passé le Cabral de la rupture ? »
Dans les heures qui ont suivi, les démissions ont plu comme un orage de saison : Enoch Gourko Djondandi, Abdoul Raoufou Abba Djam, Atikou Koeranga, Wabo Ghomsi Pierre… tous ont quitté le navire, citant un manque de vision, une stratégie confuse, ou simplement un goût amer face à un leader jugé « fatigué politiquement ».
Même dans son propre entourage, les signaux sont rouges : Nourane Foster, autrefois visage célèbre du PCRN, a pris ses distances en silence — un silence plus bruyant qu’un discours.
Les raisons d’une chute
Pour comprendre la débâcle, il faut remonter à la racine du projet Cabralien. En 2018, à seulement 38 ans, Cabral Libii apparaissait comme une bouffée d’air frais dans le paysage politique camerounais : juriste de formation, ancien animateur à la radio universitaire, co‑fondateur associatif, il avait su capter l’attention des jeunes et de la diaspora grâce à un profil médiatique affirmé.
Souvent qualifié de « Macron camerounais » pour sa posture de jeune challenger, il avait lancé dès 2017 le mouvement « 11 millions d’inscrits » afin d’inscrire massivement les citoyens sur les listes électorales. Cette énergie nouvelle lui avait permis, pour sa toute première participation à une présidentielle, d’atteindre la troisième place avec 6,28 % des voix.
À ce moment, il incarnait la modernité, la rupture générationnelle, la voix d’une jeunesse frustrée mais ambitieuse. En 2025, pourtant, Cabral Libii revenait à la course avec un arsenal renforcé : outre la caravane électorale, les meetings et la mobilisation, il appuyait sa campagne sur l’ouvrage Le Manifeste de la rupture et du progrès, un livre‑programme qu’il avait déjà présenté et dédicacé à travers le pays.
Cet ouvrage ambitionnait de consolider son image de penseur‑politique : « un nouveau contrat social », « un Cameroun qui protège et libère les énergies » étaient les mots d’ordre. Mais malgré cette montée en sophistication — discours plus travaillé, programme plus écrit — la chute s’est révélée brutale. Le scénario de 2018 était rejoué à l’identique : même posture, même promesse, même volonté de rupture — mais dans un décor désormais connu et moins sublimé. Le piège du “replay” s’est refermé.
« Cabral a manqué d’évolution narrative », décrypte Mireille Mbida, consultante en stratégie politique. « Son discours n’a pas suivi le rythme du pays. En sept ans, le Cameroun a changé — lui, non. Il a continué à parler comme un outsider, alors qu’il est devenu un acteur du système politique » .
Un parti fissuré
Le PCRN, formation que Cabral avait repris sur les valeurs de « Vérité, Amour et Paix », traverse aujourd’hui sa plus grave crise interne. Entre fidélité au chef et frustration militante, le parti se cherche.
« Le PCRN a grandi trop vite », explique Arsène Djouma, chercheur . « C’était une machine à enthousiasme, pas une structure idéologique solide. Cabral a construit un mouvement autour de sa personne. Et quand le chef vacille, tout s’effondre ». Derrière les lettres de démission aux tournures polies, c’est un message de lassitude qui se lit : la déconnexion entre le rêve et la réalité, entre le leader et sa base.
Car dans ce Cameroun politique où la fidélité se mesure à la résistance, la reconnaissance rapide d’une défaite électorale est perçue comme un renoncement, voire une compromission.
Une fatigue politique assumée ?
Certains observateurs voient dans la posture de Cabral non pas une faiblesse, mais une lucidité. L’homme sait sans doute que le jeu politique camerounais ne se gagne pas seulement par la voix des urnes, mais par le contrôle des rouages.
Mais le constat reste cruel : la fatigue est perceptible, la ferveur s’estompe. « Il donne l’impression d’un coureur de fond essoufflé », glisse un observateur politique à Yaoundé. « Sa parole manque désormais de feu. On ne l’écoute plus avec la même intensité, même quand il dit des choses justes ». Entre désillusion personnelle et désaffection populaire, Cabral Libi’i semble avoir atteint ce moment charnière où le charisme ne suffit plus à masquer la perte de cap.
Ironie du sort : le mouvement qui se voulait “vague” s’est transformé en marée basse. Dans les rues de Kribi ou les quartiers de Maroua où son nom était crié comme un hymne, on parle désormais au passé. La jeunesse qui l’adulait scrolle en silence ses publications Facebook, sans commenter.
Les réseaux sociaux, jadis tremplin, sont devenus tribunal. Chaque mot, chaque geste du leader du PCRN est disséqué, souvent moqué, parfois méprisé. Et dans les états-majors politiques, le cas Cabral Libi’i est désormais cité comme un “manuel de la désillusion”, symbole d’un idéal rattrapé par la mécanique froide du pouvoir.
Une survie à prouver
Mais la politique, comme la mer, a ses reflux et ses retours. Cabral Libi’i n’est pas le premier à tomber, et peut-être pas le dernier à se relever. Les législatives et municipales de 2026 seront son véritable test : celui de la reconstruction.
Sera-t-il capable de réinventer son discours, de fédérer de nouveau, de ressouder un parti en miettes ? Ou bien rejoindra-t-il le cimetière politique des promesses inachevées ?
Pour l’instant, le silence domine au quartier général du PCRN. Et dans ce silence, résonne encore cette phrase d’un observateur de la scène : « Ma plus grande déception lors de ces élections présidentielles c’est Cabral ».
En savoir plus sur Afrik-Inform
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
 
							 
						














Laisser un avis