Dans la poussière dorée de Maroua, les drapeaux tricolores s’apprêtent à flotter à nouveau. Paul Biya revient, sept ans après son dernier bain de foule dans la capitale de l’Extrême-Nord. À l’époque, c’était la campagne présidentielle de 2018, et le vieux lion y lançait un message d’espoir : « gagner, ensemble, la bataille du développement ».
Ce 7 octobre 2025, le décor sera presque le même, mais le contexte, lui, aura changé. Le pays s’avance vers une nouvelle échéance électorale, et la visite du président prend des airs de reconquête.
Un bastion stratégique avant la bataille
Dans la géographie politique du Cameroun, l’Extrême-Nord n’est pas une région comme les autres. C’est un bastion, un cœur battant du RDPC, où les foules ont longtemps scandé le nom de Paul Biya comme une prière de fidélité. Depuis des décennies, le Grand Nord constitue le socle électoral le plus solide du régime, celui où les voix ne tremblent pas au moment de voter « la force de l’expérience ».
Mais entre-temps, le vent politique s’est fait plus incertain. Certaines élites locales ont exprimé des frustrations, les promesses de développement tardent, et les jeunes générations, nées dans la crise et la précarité, se montrent plus sceptiques que loyales. Revenir à Maroua, pour Paul Biya, ce n’est donc pas seulement renouer avec une terre amie. C’est réaffirmer la colonne vertébrale politique du RDPC, rappeler les fondations d’une alliance vieille de plus de quarante ans entre Yaoundé et le Grand Nord.
Or, ces fondations montrent aujourd’hui quelques fissures. Deux figures historiques du septentrion, longtemps piliers du régime, incarnent désormais la rupture : Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari. Tous deux jadis alliés du pouvoir central, ils tracent désormais leurs propres sillons politiques dans une région qu’ils connaissent intimement. Le premier, tribun du verbe et stratège de terrain, sillonne les départements à la tête du FSNC, rassemblant des foules curieuses et parfois conquises.
Le second, ancien Premier ministre et figure respectée du Nord, s’efforce, avec son parti l’UNDP, de réactiver la fibre d’autonomie politique jadis étouffée par la discipline du parti unique.
Leur présence redonne souffle au débat local. À Maroua, à Mora, à Kousseri, les meetings du FSNC et de l’UNDP prennent des allures de reconquête symbolique. Là où jadis seul le RDPC dictait le tempo politique, on entend désormais d’autres voix, d’autres récits. Les bains de foule, les poignées de main, les chants et les promesses se multiplient. Certains y voient une simple agitation préélectorale, d’autres une lame de fond qui pourrait fissurer la loyauté inébranlable du Grand Nord envers Paul Biya.
Pour le chef de l’État, ce déplacement à Maroua sonne donc comme un test de vitalité politique. Il s’agit autant de mesurer la ferveur des partisans que de rappeler, à ses anciens compagnons devenus concurrents, que le socle granitique du RDPC n’a pas encore cédé.
Un retour sous le signe de la reconstruction
En 2018, son discours à Maroua avait la tonalité d’un hommage et d’une promesse. « Vous avez soutenu nos forces de défense et de sécurité. Les comités de vigilance ont joué un rôle essentiel dans votre résistance », disait-il alors, saluant le courage des populations face à Boko Haram.
Sept ans plus tard, ces mots résonnent encore. Car c’est sur ces terres meurtries par le terrorisme que s’est forgée une part du récit national récent — celui d’un peuple qui a tenu, souvent au prix du sang, pour préserver la République.
Aujourd’hui, l’enjeu est ailleurs : reconstruire, développer, donner une nouvelle vie à des territoires longtemps considérés comme en marge. Routes, électricité, emploi des jeunes, relance agricole… Les mêmes promesses de 2018 reviennent ( bien que la plupart ait été réalisée sous la diligence accrue du président de la république) , mais cette fois, elles devront se confronter à l’impatience du terrain.« La bataille du développement », que le président appelait jadis “exaltante”, reste encore à gagner.
De Boko Haram à la paix relative : le symbole d’une résistance
L’Extrême-Nord garde la mémoire des années sombres. Les villages brûlés, les marchés désertés, les femmes enlevées, les enfants transformés en kamikazes.
Mais elle garde aussi celle d’un peuple debout. Des comités de vigilance, des chefs traditionnels mobilisés, des familles entières engagées dans la défense de leur territoire.
Dans ce combat, Paul Biya avait trouvé un symbole fort à sa présidence : celui du chef d’État garant de la paix, maître du temps et de la stabilité.
Revenir sur ces terres, c’est donc raviver l’image du protecteur — celui qui, après la guerre, vient constater la paix.
C’est rappeler que, malgré les blessures, l’Extrême-Nord reste une région-pivot dans l’équilibre du pays : frontière du Sahel, carrefour du commerce transsaharien, terre de foi et de fidélité politique.
Une reconquête douce mais calculée
Sur le plan politique, cette visite s’inscrit dans une logique claire : reconsolidation du socle nordique avant la présidentielle. Depuis plusieurs mois, le RDPC multiplie les signaux de réactivation : réunions de coordination, mobilisation des structures de base, discours d’allégeance renouvelés.
Dans les coulisses, le parti au pouvoir sait que l’électorat du Grand Nord demeure décisif, tant pour la légitimité que pour la dynamique nationale de la campagne.
Pour Paul Biya, cette étape pourrait donc être l’occasion de rallumer la flamme militante, de remobiliser les cadres et de réaffirmer que, malgré les épreuves, le pacte politique entre Maroua et Etoudi n’a pas été rompu.
Sous un soleil implacable, le vieux lion veut prouver que le socle granitique de son pouvoir n’a pas encore cédé.
L’ombre de la succession
Mais derrière cette démonstration de force, une question demeure : celle de l’avenir.
À 92 ans, Paul Biya continue d’incarner à lui seul la continuité du régime. Pourtant, au sein du RDPC, les regards se tournent de plus en plus vers l’après, même si personne n’ose le dire publiquement.
Sa présence à Maroua pourrait alors être interprétée comme une ultime réaffirmation d’autorité : un geste politique fort, avant de passer, peut-être, le témoin ou de fixer les bases d’une succession maîtrisée.
Si le Cameroun politique devait se résumer à une carte symbolique, Maroua en serait la clé de voûte.
Ville-frontière, ville fidèle, mais aussi ville-pivot entre la guerre et la reconstruction, entre la ferveur et la lassitude, entre la promesse et l’attente.
C’est là que Paul Biya avait promis la « bataille du développement » ; c’est là qu’il revient, pour en mesurer les fruits.
Et demain, quand le cortège présidentiel s’avancera sur la route bitumée, les habitants de l’Extrême-Nord verront sans doute dans cette visite une double image : celle d’un chef qu’ils connaissent depuis toujours, et celle d’un pays qui, malgré tout, cherche encore la voie de son avenir.
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