Cameroun| Présidentielle 2025 : Tchiroma Bakary vs. Paul Biya: la revanche du Nord ou le remake de Maurice Kamto ?

Sept ans après la crise post-électorale de 2018, le Cameroun semble rejouer le même scénario. Comme Maurice Kamto à l’époque, Issa Tchiroma Bakary revendique la victoire face au président sortant et dénonce des « manipulations » du scrutin. Entre arrestations, pressions administratives et accusations de fraude, la scène politique camerounaise renoue avec ses vieux démons : celui d’un pouvoir qui refuse toute remise en cause, et d’une opposition qui croit encore pouvoir renverser le cours de l’histoire.

Avant de dénoncer la « séquestration » de sa représentante régionale à Bafoussam, Issa Tchiroma Bakary avait déjà franchi le pas le plus risqué : celui de la proclamation anticipée de victoire. Dans une déclaration solennelle diffusée lundi soir, le candidat du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC) affirmait que « le peuple a choisi » et que cette victoire « claire et écrasante » devait être respectée.

« Ensemble, nous allons tourner la page et réconcilier la nation », lançait-il, la voix ferme. « Le temps de la peur et des manipulations est révolu. Le seul camp qui compte aujourd’hui, c’est celui du Cameroun ».  Une tonalité messianique, presque triomphale, qui rappelait immanquablement celle d’un autre opposant sept ans plus tôt : Maurice Kamto, proclamant lui aussi sa victoire dès la fin du scrutin de 2018, au nom du « vote populaire ».

Quelques jours après ( aujourd’hui) , le ton monte d’un cran. Dans un communiqué , Issa Tchiroma accuse les autorités d’avoir « séquestré » sa représentante régionale à Bafoussam, « forcée de signer un procès-verbal falsifié ». Selon lui, les résultats « affichés publiquement » le créditeraient de 80 % des voix dans la capitale de l’Ouest, bien loin des tendances relayées par les canaux officiels.

Un ton grave, un appel à la vigilance, une dénonciation du « vol du suffrage populaire »… Le scénario, jusque dans ses mots, évoque 2018.

Deux anciens ministres, un même affrontement avec le système

Ce parallèle ne doit rien au hasard.Issa Tchiroma Bakary, comme Maurice Kamto avant lui, est un ancien ministre du gouvernement Biya. Tous deux ont, à des moments différents de leur parcours, servi l’État qu’ils défient aujourd’hui. L’un, Tchiroma, fut ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, entre autres ; l’autre, Kamto, ancien ministre délégué à la Justice, avait négocié pour le Cameroun à la Cour internationale de justice lors du différend frontalier de Bakassi. Deux figures de l’appareil, passées dans l’opposition, persuadées que le changement peut se conquérir par les urnes.

Mais sur leur chemin, un même homme : Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale. Le gardien de l’ordre établi, celui qui, depuis 2018, incarne la ligne dure du régime face à toute contestation électorale.

En octobre 2018, c’est lui qui s’était dressé publiquement contre Maurice Kamto, quelques heures après la proclamation anticipée de victoire du leader du MRC. D’un ton grave, il l’avait prévenu : « Il risque de se retrouver dans le village de Si Je Savais », expression devenue célèbre, symbole de la fermeté de l’État face à ceux qui refusent d’attendre les résultats officiels du conseil constitutionnel ( seul habilité selon la loi à les proclamer). À l’époque, cette phrase sonnait comme une menace à peine voilée. Quelques mois plus tard, les faits lui donnaient un écho saisissant.

En janvier 2019, après une série de “marches blanches” organisées à Yaoundé pour contester les résultats et dénoncer ce que le MRC qualifiait de “hold-up électoral”, les forces de sécurité intervinrent brutalement. Les manifestations furent dispersées, plusieurs blessés recensés, et Maurice Kamto arrêté avec plusieurs figures de son parti, dont Christian Penda Ekoka, Michèle Ndoki, Valsero et Alain Fogue. Le cortège de militants fut transféré à Yaoundé, où ils furent inculpés pour hostilité contre la patrie, rébellion et trouble à l’ordre public.

Cette arrestation, survenue le 28 janvier 2019, marqua un tournant dans l’histoire politique récente du Cameroun. Le leader du MRC restera neuf mois en détention à la prison principale de Kondengui avant d’être libéré en octobre 2019, à la faveur d’un décret présidentiel présenté comme un geste d’apaisement.

Sept ans plus tard, l’histoire semble rejouer la même scène, presque mot pour mot. Face à la déclaration de victoire d’Issa Tchiroma Bakary, c’est encore Paul Atanga Nji qui monte en première ligne. Dans un communiqué de presse, le ministre dénonce et condamne avec la plus grande fermeté « cette imposture et le comportement irresponsable de ce candidat aux abois, qui a été incapable de se faire représenter dans la moitié des bureaux de vote » sur l’étendue du territoire national. avant de promettre que « le cas Tchiroma sera traité le moment venu avec la rigueur et la fermeté qui s’imposent ».

Dans tout le pays , nul ne s’étonne de cette réaction. L’homme du Minat ne badine pas avec la discipline républicaine. À chaque poussée de fièvre politique, c’est lui qu’on envoie en première ligne : tonnerre dans la voix, rappelant que « nul n’est au-dessus de la loi et que nul ne doit jouer avec le Cameroun ( expression bien célèbre du président Paul Biya ) ». La réplique du ministre sonne comme une mise en garde claire et formelle et elle illustre la constance d’un régime qui, sept ans après Kamto, n’a rien perdu de son réflexe d’autorité.

Dans ce duel à distance, le décor est le même : un ancien ministre passé à l’opposition, un scrutin à problème, un pouvoir qui s’arc-boute sur la légalité, et un Paul Atanga Nji en sentinelle inflexible du système Biya.

Similairement de Kamto, Tchiroma incarne la jeunesse insurgée et la rupture idéologique. Mais il  représente surtout une dissidence interne, celle d’un homme du sérail, fort de son ancrage dans le Nord, qui connaît les rouages du pouvoir et s’en sert aujourd’hui pour dénoncer ce qu’il qualifie de dérives.

Un grand pays face à un scénario qui se répète

À chaque élection, le Cameroun semble rejouer le même acte d’un théâtre politique sans fin : Une opposition fragmentée, un pouvoir inflexible et une administration en mode défense. Les figures changent, les mots varient quelques peu, mais le décor reste identique.

Pour certains observateurs, la posture d’Issa Tchiroma Bakary est celle d’un homme qui veut forcer le destin, quitte à marcher sur les traces de ceux qui ont payé cher leur audace. Pour d’autres, c’est le signe d’une nouvelle fracture : celle d’un Nord politique qui, pour la première fois depuis des décennies, s’éloigne ouvertement du parti au pouvoir.

Dans l’immédiat, le candidat du FSNC promet de « défendre la victoire du peuple contre toute tentative de confiscation ».

Et si les évènements ont parfois un goût amer de répétition, elle pourrait aussi, cette fois, offrir une leçon : qu’au Cameroun, revendiquer la victoire reste un acte politique à très haut risque voir une ligne rouge à ne surtout pas franchir— mais aussi, pour certains, une manière d’entrer officiellement dans l’Histoire.


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