Cameroun/ Professeur Éric Mathias OWONA NGUINI : « La longévité politique du président Paul Biya tient à sa capacité de contrôler les ressources du pouvoir, ainsi qu’à sa chance de disposer d’une solide machine politique de parti ».

Docteur en sciences politique, politologue, analyste politique et Vice-recteur chargé de la Recherche, de la coopération et des relations avec le monde des entreprises de l’université de Yaoundé 1, le professeur Owona Nguini revient avec beaucoup de perspicacité dans cette interview accordée à Afrik Inform sur les 42 ans de Paul Biya au pouvoir. En parcourant les dossiers et sujets sensibles tels que la corruption, le tribalisme, l’économie ou encore la succession à la tête de l’état, le fils du Professeur Joseph Owona a fait preuve de son intellectualisme habituel. 

Quels sont les acquis du renouveau ?

En 42 ans, le renouveau a tracé le cadre d’un progrès du Cameroun. Ce progrès est multidimensionnel. Nous avons dans un premier temps un progrès institutionnel qui a permis de quitter d’un système institutionnel de parti unique qui a duré de 1966 à 1990, soit 8 ans après le début du renouveau à un système de multipartisme démocratique qui est prévalant depuis 1990 jusqu’à 2024.

Ensuite, nous avons un progrès économique irrégulier parce que le Cameroun a septuplé son PIB mais continue de faire face à des problèmes de répartition de revenu et des problèmes d’inégalité entre les différents composants de sa population. Enfin, un progrès infrastructurel symbolisé par la mise en place de différentes infrastructures tels que des barrages, des ports en eaux profondes et des routes diverses.

Lorsqu’il est arrivé en 1982 à la tête du Cameroun, Paul Biya représentait pour ses concitoyens l’espoir d’une ère nouvelle, après plus de 22 ans d’un régime extrêmement autoritaire, le jeune président parlait de renouveau, promettait la « démocratie et la moralisation » de l’économie gangrenée par la corruption, mais plus de 40 ans, la corruption demeure endémique, pourquoi ?

Le Cameroun a dû faire face à des chocs économiques très importants entre les années 1980 et les années 2000 et ses chocs ont eu pour effets pervers d’installer des formes plus ou moins développées de corruption à différents niveaux.

Ce n’est pas pour autant que le régime du renouveau n’a pas conduit une lutte contre la corruption puisque depuis 1999, des actions régulières ont été menées jusqu’à un niveau significatif concernant des membres du gouvernement ou des directeurs généraux qui ont été interpellés puis jugés voir condamnés dans un certain nombre de procédures politico-judiciaires pour corruption et détournements de deniers publics. Il y’a donc bel et bien une action qui est conduite contre la corruption et qui donne lieu à des sanctions, soit administratives, soit judiciaires.

Selon Transparency International, la corruption est endémique au Cameroun, le pays se place 140eme contre 180, et ce en dépit des efforts dont vous venez de mentionner pour y remédier, comment le pays est -il devenu l’un des plus corrompu au monde ?

Le Cameroun n’est pas l’un des pays les plus corrompu au monde. Ces classements sont biaisés parce qu’ils prennent en compte un certain type de corruption et en négligent d’autres. La corruption est aussi fonction de la taille des économies et on ne peut pas dire qu’elle n’existe que dans les économies de taille modeste (les pays en voie de développement).

La corruption existe dans les nations développées, maintenant, il est question de savoir quelles sont les formes de corruption qui sont mesurées et c’est peut-être là où, comme pour d’autres pays en développement, le Cameroun est pénalisé, par ces formes de mesures de la corruption qui en fait évaluent les types de malversations qui résultent précisément de la condition structurelle des pays en développement.

Encore, est-il nécessaire de préciser que ces pays du tier monde sont des pays qui ont des revenus et des capacités de production limitées et qui détiennent une économie de rente (une économie qui n’est pas suffisamment diversifiée) et qui dit économie de rente dit forcement effets induits en termes de corruption.

Selon certaines critiques, le président Paul Biya a instrumentalisé sa campagne de lutte contre la corruption pour tenir en échec ses concurrents potentiels, ces critiques, sont-elles crédibles ?

Elles ne le sont pas. Le problème n’est pas d’estimer que la lutte contre la corruption a été instrumentalisée mais de savoir si les personnalités qui ont été interpellés puis jugés et condamnés n’ont pas eu à commettre des infractions relatives aux accusations émises à leur encontre.

En 2008, des centaines de jeunes ont manifesté pendant plusieurs jours contre la vie chère, dans la foulée, un projet de modification de la constitution a été adoptée donnant la possibilité à Paul Biya de briguer un nouveau mandat en 2011. Es que cette révision de constitution montre un président crispé sur son pouvoir ?

La révision de la constitution a eu lieu, le rapport de force institutionnel a pu permettre qu’elle ait lieu, on n’a pas eu une opposition suffisamment mobilisée à l’occasion et les règles ont été modifiées permettant donc que les normes relatives à la mutation des mandats soient mises en question pour qu’on revienne à un mandat qui pourrait permettre à un président en place de se présenter autant de fois qu’il le voudrait.

Le président Paul Biya du Cameroun est âgé de 92 ans, il est le chef d’état le plus âgé d’Afrique et seul le président Teodoro Obiang de la Guinée Equatoriale le dépasse, selon vous à quoi tient la longévité politique de Paul Biya ?

Sa longévité politique du président Paul Biya tient à sa capacité de contrôler les ressources du pouvoir, qui lui permettent du durer dans le temps, ainsi qu’à sa chance de disposer d’une solide machine politique de parti, qui bénéficie d’une forte implantation. Cette machine politique s’est tisée des alliances sociales très solides, ce qui est déterminant dans une compétition électorale.

Le népotisme et le tribalisme perdurent car Paul Biya a mis en place un système étatique clientéliste, selon certaines critiques. Par exemple, les Beti qui sont les parents du président occupent une place disproportionnée des postes au haut niveau du gouvernement et de l’armée, cette situation engendre des sentiments communautaires généralisées, comment l’expliquer ?

D’entame de jeu, ce sont des perceptions qui sont plus que discutables, elles ne reposent sur aucune statistique connue et elle repose sur des affirmations qui sont essentiellement subjectives. Le système camerounais depuis le président Ahidjo est basé sur un panachage des positions aux différents niveaux de l’état.

On peut toujours estimer à tort ou à raison que telle et ou telle communauté occupe des responsabilités plus importantes que d’autres, mais encore faudrait-il avoir de statistiques rigoureuses pur pourvoir évaluer le phénomène. Par ailleurs, ce sont des accusations à l’emporte-pièce car le système Camerounais est un système qui, par rapport à beaucoup d’autres pays Africains a permis par un panachage de canaliser les tensions. Il faut donc distinguer ce qui relève des perceptions qui ne sont pas nécessairement justifiées du point de vue objectif aux réalités des choses.

Ces dernières semaines, les spéculations sur l’état de santé du Président se sont multipliées, certaines rumeurs le laissaient pour mort, cela a conduit le Ministre Atanga Nji de l’administration Territoriale à signer un communiqué interdisant aux camerounais et notamment aux journalistes de parler de ce sujet. Le pays se trouve aujourd’hui dans une situation précaire, incertain de ce qui se passera après Biya qui a gouverné d’une main de fer … Qu’en pensez-vous ?

Je ne crois pas que le Président Biya a dirigé le pays d’une main de fer. Au contraire, il a gouverné avec une certaine souplesse. D’ailleurs sa position par rapport à certains dossiers montre que précisément il y’a pas eu cette main de fer. Si vous prenez par exemple la gestion de la crise du NoSo, s’il gouvernait avec une main de fer, sa réaction vis-à-vis des ambazoniens aurait été encore plus dure mais elle est plutôt souple, on a une amnistie, on a des propositions et des négociations qui ont été faites avec les différents groupes armées.

Maintenant, le président Biya est un être humain comme tous les autres, il n’est pas immortel, mais le Cameroun a un système qui a des institutions qui prévoient ce qui doit fonctionner si et jamais, il y’avait une vacance à la présidence de la République.

Es que la succession du président sera Chaotique parce que le Cameroun ne dispose pas de garde fours constitutionnels solides ?

Là encore, ce sont des spéculations, rien ne dit dans quel sens la succession va fonctionner, un analyste n’est pas un prophète.

Cependant, existe-t-il une réelle possibilité que diverses factions du régime Biya, tel que Franck Biya, Ferdinand Ngoh Ngoh ou Laurent Esso se bousculent et se battent pour le pouvoir ?

Chacun peut spéculer dans ce sens, mais rien ne dit que les choses iront dans ce sens-là, il faut laisser Paul Biya gouverner jusqu’à la fin. 

Entretien mené avec Constantin GONNANG pour Afrik Inform.

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