Cameroun| REGARD CROISÉ : LE DROIT, L’ÉTHNIE ET LA POLARISATION POLITIQUE AU CAMEROUN.

Dans un échange intellectuel rare par sa densité et son style, BBlaise Etongtek et Georges Dougueli croisent la plume sur un sujet brûlant : la participation politique dans un régime verrouillé. D’un côté, une dénonciation vibrante des manœuvres juridiques visant à disqualifier Maurice Kamto ; de l’autre, une mise en garde contre la montée des extrémismes dans les deux camps, pouvoir comme opposition. Ce dialogue indirect mérite qu’on s’y arrête.

1. Le droit comme outil de régulation ou d’exclusion ?

Etongtek fustige une rhétorique qui habille l’injustice d’arguments juridiques. Il conteste l’idée selon laquelle un ancien boycott électoral pourrait devenir un motif implicite d’inéligibilité, au mépris de la lettre des textes. Pour lui, disqualifier Kamto sur cette base relève d’une instrumentalisation du droit à des fins politiques.

Dougueli, sans s’attarder sur ce point précis, choisit de déplacer le débat. Il alerte sur la montée d’un radicalisme, non seulement dans les discours, mais aussi dans les postures identitaires et la structuration des clivages. En cela, il contourne l’argument central d’Etongtek pour mieux recentrer l’attention sur le « climat » du débat public.

2. Une République piégée par l’ethnie ?

Dougueli avance que la scène politique camerounaise est minée par des logiques ethno-régionalistes, souvent tus en public mais décisifs dans les positionnements. Il dénonce une « instrumentalisation nocturne de l’ethnie » aussi bien par le pouvoir que par certains segments de l’opposition.

Ce diagnostic soulève une question redoutable : le débat politique peut-il être sain dans un environnement où l’appartenance prime sur le projet ? Etongtek ne nie pas l’existence de ces tensions, mais il les considère comme des conséquences d’un système verrouillé, non comme la cause première du malaise démocratique. Pour lui, le vrai danger vient de ceux qui disqualifient des adversaires politiques sans base légale, et qui, ce faisant, entretiennent un ordre politique fondé sur la peur du changement.

3. Le centre introuvable ?

Dougueli évoque une « majorité modérée », silencieuse, désorientée, qui rejette à la fois l’immobilisme du régime et la virulence de certains segments de l’opposition. Il croit à l’émergence d’un leadership post-ethnique, capable de rassembler au-delà des fractures visibles. Mais cette modération n’est-elle pas, dans le contexte camerounais, une illusion pratique ? Un pari théorique sur une société encore traversée par les traumatismes de la confiscation politique ?

Etongtek, de son côté, semble penser que le retour à une réelle alternance politique ne passera pas par le centre, mais par une clarification des rapports entre pouvoir et opposition, droit et stratégie, légalité et légitimité. Pour lui, la peur du peuple libre — symbolisée par Kamto — est plus révélatrice que toutes les constructions sociologiques du moment.

Un débat vital à ouvrir, non à refermer

Loin d’être une opposition stérile, ce regard croisé montre combien le Cameroun a besoin de débats francs, où le droit, l’histoire, la sociologie et la mémoire collective s’articulent. L’un rappelle que la démocratie commence par le respect du droit ; l’autre avertit que sans un dépassement de l’ethnicisation rampante du politique, tout projet républicain restera fragile.

À ceux qui écoutent, une question demeure : que faire pour que le débat démocratique cesse d’être un champ de mines ou un théâtre de dupes ? Peut-être faut-il, comme le suggère Etongtek, refuser les exclusions masquées ; ou, comme le propose Dougueli, affronter les non-dits identitaires. Peut-être faut-il… faire les deux.

Nakata Tomwooh pour Afrik-inform ✅