À Yaoundé, le ciel hésite entre la brume et la lumière, comme si même le soleil voulait attendre le verdict du jour. Il est à peine neuf heures, mais la capitale a déjà le visage des grands rendez-vous : celui d’un pays qui marche sur la pointe des pieds. Dans les rues, tout semble retenu. Les klaxons ont perdu leur arrogance, les voix se font plus basses. La ville écoute. On sent dans l’air cette vibration particulière — celle des jours où l’histoire s’écrit sans bruit.
Le pays en suspens
Sur l’avenue de la Réunification, les taxis jaunes circulent au ralenti. Les visages derrière les vitres paraissent tendus. Sur les trottoirs, des vendeuses de beignets chuchotent en regardant les files s’étirer devant les bureaux de vote. « C’est calme pour l’instant », dit l’une d’elles, le regard planté dans le vide.
Calme… le mot revient souvent. Mais c’est un calme nerveux, qui vibre sous les pas, comme la peau avant l’orage. À Mvog-Ada, une vieille radio grésille sur une table en bois : « Le président de la commission électorale appelle au calme et à la discipline citoyenne… » Un homme répond à voix basse Autour de lui, trois jeunes rient, sans joie.
Les collines dans la brume
Sur les hauteurs de Nkolbisson, la ville ressemble à un décor de théâtre. Les maisons s’accrochent à la colline, les drapeaux tricolores pendent mollement. Le vent transporte l’odeur des pains chauds, mélangée à celle de la poussière rouge.
Un prêtre, en soutane blanche, s’avance vers l’école où se trouve son bureau de vote. Il dit simplement : « Ce n’est pas un jour pour parler. C’est un jour pour espérer ».
En bas, sur la route de Melen, un jeune homme brandit sa carte d’électeur comme un trophée. Son sourire tranche avec la gravité du moment. Derrière lui, un enfant crie : « Papa, tu vas voter pour qui ? » Le père répond sans se retourner : « Pour demain ».
La ville et ses silences
Tout autour, les grandes avenues respirent autrement. L’avenue Kennedy, d’habitude bourdonnante, sonne creux. Seuls les pas des piétons rythment le matin. Les policiers postés à chaque carrefour scrutent les mouvements, les journalistes tendent leurs micros vers des visages fermés.
Une affiche décollée bat doucement contre un mur : on y distingue encore un sourire de campagne, presque effacé.
Les vendeurs d’essence frelatée sont assis sur leurs bidons vides, les yeux fixés sur les bureaux de vote comme s’ils attendaient un miracle. L’un d’eux murmure : « Si on pouvait vendre la paix aujourd’hui, j’en ferais fortune ».
Dans le pays profond
Pendant ce temps, le Cameroun s’éveille ailleurs, nous rapporte nos correspondants. À Garoua, le muezzin a fini de lancer l’appel de l’aube, et les premières files se forment déjà sous les manguiers.
À Bafoussam, des femmes en foulard transportent les urnes à dos de moto, un pagne tricolore noué autour de la taille. À Douala, les taxis klaxonnent faiblement devant les écoles primaires transformées en bureaux de vote, pendant que le fleuve Wouri dort encore sous la brume.
À Bertoua, le vent de la forêt remue les drapeaux posés sur les bâtiments administratifs. Chaque région respire sa propre tension, mais le même souffle les traverse : celui d’un peuple en veille.
Le murmure du matin
À neuf heures, la radio nationale annonce un taux de participation “encourageant”. Dans les quartiers, on répète la phrase comme un écho : encourageant… Les plus vieux hochent la tête, les plus jeunes sourient à moitié.
Sur les réseaux, les premières images défilent — selfies devant les urnes, doigts tachés d’encre, visages fatigués mais fiers. Un Camerounien écrit : « Quoi qu’il arrive, aujourd’hui, j’existe ».
Et dans cette phrase, tout est dit : la foi, la crainte, la dignité. Le pays entier semble suspendu, comme une horloge dont on aurait arrêté les aiguilles.
Le vent s’est levé sur les collines, les radios grésillent, les motos reprennent timidement la route. Personne ne sait ce que portera le soir.
Mais pour l’instant, à neuf heures, le Cameroun respire — lentement, prudemment, comme s’il cherchait le rythme d’un jour qui pourrait tout changer.
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