Encore la forêt d’Ebo serait-on tenté de dire.
Alors que l’on croyait aplanis les remous de la dernière tentative de mise sous concession sous la forme de deux unités forestières d’aménagement (UFA) de ce vaste massif forestier à la biodiversité unique au monde en 2020, la convocation d’une réunion d’information par le Préfet du Nkam en date du jeudi 25 Mai 2023 à Yabassi a eu l’effet d’une brutale piqûre de rappel, comme pour dire que ceux-là mêmes qui étaient à la manœuvre en 2020 pour faire main basse sur cette forêt n’ont jamais baissé les bras, bien au contraire.
La forêt d’Ebo, parlons-en.
La forêt d’Ebo a une superficie de plus de 2 000 km². Elle est située à cheval sur deux régions ( le centre et le littoral) et trois départements en leurs arrondissements suivants : Yingui et Yabassi (département du Nkam) ; Ngambè ( département de la Sanaga Maritime) ; Inoubou Sud (département du Mbam et Inoubou). Cette forêt a une histoire particulière, puisqu’elle renferme des dizaines de villages représentant autant de communautés.
Le peuple Banen à lui tout seul regroupe plus d’une quarantaine de communautés qui durant les événements douloureux liés à l’indépendance du Cameroun ont été déguerpies manu militari par le gouvernement de l’époque qui était alors en butte à la résistance armée des combattants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) retranchés dans cette zone réputée d’accès difficile. Le Préfet du Nkam de l’époque Ferdinand Koungou Edima de regrettée mémoire, va signer l’arrêté N° 135/DNK du 31 Juillet 1963 déclarant cet espace ” Zone Interdite ” vidant tous les villages de leurs habitants.
Ceux qui ont tenté de résister ont vu leurs maisons, cheptels et plantations brûlés. Ces populations vont être regroupées à Esseing, Maninga Makombè, Ndokbassaben et Iboti avec promesse de les ramener six mois plus tard. Malheureusement pour elles, cette promesse restera lettre morte, ce qui aura pour effet leur dissémination aux quatre coins du pays.
il faut attendre le milieu des années 70 pour voir les survivants de cette époque s’organiser par petits groupes pour regagner leurs anciens villages. Très peu parviendront à s’y fixer.
C’est dans ces entrefaites qu’en 2006, le gouvernement sous l’impulsion de la WWF va vouloir transformer cet espace en parc national. La communauté Banen comme un seul homme va se lever et protester de manière véhémente avec à l’appui toutes les preuves qui indiquent que cette forêt n’est pas une banale forêt vierge, mais des anciens villages qui ont conservé toutes leurs traces de vie. Le gouvernement va écouter et suivre le peuple Banen. Le projet du parc sera purement et simplement annulé.
Cependant seize ans plus tard le ministre des forêts et de la faune M. Jules Doret Ndongo va émettre en Février 2020 un avis au public avec pour objet la création de deux unités forestières d’aménagement (UFA). Une fois de plus le peuple Banen va manifester son désaccord. A juste titre d’ailleurs. La création d’un parc ou des UFA obéit à un même principe : Classement de l’espace en question dans le domaine privé de l’État, avec établissement d’un Titre Foncier au bénéfice de l’État, ce qui aurait pour conséquence de faire des Banen des APATRIDES dans leur propre pays.
Cette fois ci le Premier Ministre Joseph Duon Gute va signer en date du 14 Juillet 2020 un décret octroyant une des deux UFA à une société forestière de la place au terme d’une procédure bâclée (quatre mois) et sans appel d’offres. Devenus APATRIDES dans leur propre pays au terme de la signature de ce décret, le peuple Banen va redoubler ses protestations, au point où, le Chef de l’État, le Président de la république SE Paul Biya lui même va retirer ce décret le 06 Août 2020 et ordonner la suspension de la procédure de l’autre UFA qui n’avait pas encore abouti.
Grande fût donc la surprise des Banen de la forêt d’Ebo, qui répondant à une convocation du Préfet du Nkam à assister à une réunion d’information le jeudi dernier 25 Mai 2023 ont eu la désagréable surprise de se voir resservir un plat réchauffé : l’UFA.
En effet, dans son propos liminaire, le Préfet du Nkam dira que la séance du jour n’était rien d’autre qu’une réunion d’information. Car va-t-il poursuivre, une certaine association dénommée Comité de Développement de la Forêt d’Ebo (CDFE) a saisi le Chef de l’État en vue d’autoriser le retour des Banen de la forêt d’Ebo chez eux, et le Chef de l’État aurait accéder à leur doléance en précisant que ce retour se ferait avec l’accompagnement d’une exploitation forestière.
Il faut signaler au passage qu’aucune correspondance émanant de la Présidence de la république ne sera présentée au cours de ladite réunion suscitant de ce fait une suspicion légitime. Encore que, les populations Banen de la forêt d’Ebo ont-elles réellement besoin d’une autorisation pour rentrer chez elles ?
Si tel est le cas, le parallélisme des formes voudrait que les populations ayant été déguerpies par un arrêté préfectoral, un autre arrêté préfectoral aurait largement suffit pour la cause. Et quand on se rend compte que l’essentiel des débats n’a tourné qu’autour de la problématique de l’UFA, il va sans dire que c’était là ni plus ni moins le véritable objectif de cette réunion.
Et de l’autre côté quand on a vu les moyens déployés par le Comité de Développement de la Forêt d’Ebo (CDFE) en louant des bus et en convoyant les populations Banen du Moungo et du centre pour faire nombre et ceci visiblement aux frais du forestier qui ne rêve que d’une chose, faire main basse sur les terres Banen d’Ebo, peut on encore croire à une banale réunion d’information ?
Ce qui pose problème ici c’est le fait que des gens prennent sur eux de braver et défier ouvertement les décisions du Chef de l’État. Sinon comment comprendre que moins de trois ans après que le Chef de l’État ait retiré le décret de concession des UFA à Ebo, ces derniers osent remettre en question cette décision par des manœuvres détournées.
Comme en 2006 dans l’épisode du parc et en 2020 pour celui des UFA, le peuple Banen veille et ne se laissera pas déborder par les usurpateurs.
Abdel Raman