Ce mercredi 6 août, un froid humide enveloppait les collines boisées de Mbankomo, comme un voile suspendu au-dessus du Centre technique de la CAF. À travers les brumes du matin, le grand bâtiment aux vitres lustrées a vu, dès 7 h, le président Samuel Eto’o fouler le seuil avec le pas tranquille de ceux qui ont beaucoup combattu et qui, peut-être, s’apprêtent à déposer les armes.
Il est 9 h 42 lorsque retentissent les premières notes de l’hymne national dans la salle de conférence. Tout le comité exécutif est là, à l’exception de quelques absents excusés.
Le quorum est atteint, les travaux peuvent commencer. Une session décisive. Pas encore la dernière, la prochaine le sera, mais déjà teintée d’une gravité particulière. À l’approche des élections présidentielles de décembre prochain, chacun le sent : l’heure n’est plus aux règlements de compte, mais aux remerciements.
Et de remerciements, il en sera question… tout au long du discours que Samuel Eto’o livrera plus tard, la voix pleine, le verbe délié, le cœur à nu.
Un discours sans papier, mais avec le cœur
« Mes collaborateurs et moi avions préparé un discours, mais je pense que la circonstance me permet de parler avec le cœur ». Par ces mots d’ouverture, le président de la FECAFOOT a abandonné les formules convenues pour livrer un message intimiste, presque testamentaire. Loin du ton conquérant auquel il a souvent habitué l’opinion, Eto’o a ce jour choisi la sobriété de l’émotion et la force du mot le plus simple : merci.

Un « merci » déployé comme une révérence. Un « merci » récurrent, solennel, enveloppant, lancé à chaque personne, chaque corps de métier, chaque allié ou ancien ami de la maison FECAFOOT. Un merci comme une clôture. Un merci peut-être comme un adieu.
À la croisée d’un mandat
Il l’a dit : c’est l’avant-dernière session du comité exécutif. La suivante désignera le nouveau bureau et le nouveau président de la FECAFOOT. Personne, dans l’assemblée, n’ignore que Samuel Eto’o pourrait ne pas briguer un nouveau mandat. Et même s’il ne l’a pas déclaré ouvertement, chaque mot de son intervention semble préparer le terrain pour un départ digne.

Il remercie ses collaborateurs, reconnaît leur patience, leur compétence, leur loyauté. « Je sais que j’ai été très exigeant vis-à-vis de vous, mais je ne pouvais pas attendre moins de vous », lance-t-il, dans une phrase à double fond. Puis, il prend soin de rassurer : « Je pense qu’au-delà des commentaires de quartier, et le patron du personnel ( M.Tamo ndlr) peut l’attester, je suis à jour avec vous tous ».
Une mère dans les batailles

Mais c’est lorsqu’il évoque Céline Mendomo ( Vice présidente No1 de la FECAFOOT, sa « chère maman », que l’émotion déborde. « Vous avez été là dans toutes les batailles, les batailles parfois difficiles, où il fallait discuter en privé et bagarrer devant tout le monde », confie-t-il, devant un auditoire suspendu à ses mots.il parle d’elle comme d’un pilier dans la tempête, à la fois mère, Vice présidente, soutien, voix intérieure et force tranquille.

Puis, ses pensées se tournent vers Douala, où se trouve sa mère biologique. Il lui demande pardon : « Je t’ai embarquée dans cette histoire mais la passion et l’amour que j’ai pour le football et pour mon pays m’ont emmené à vouloir apporter ma contribution ». Il n’y a plus de protocole à ce moment-là, seulement un fils parlant à sa mère, à travers un micro devenu confident.
Une dette envers le football
Ce « merci » si souvent répété n’est pas gratuit. Il est lié à une série de gestes concrets. Dans son intervention, Eto’o annonce une décision forte : le paiement des arriérés de salaire des collaborateurs de Marc Brys, l’actuel sélectionneur des Lions indomptables.
Il précise que le comité exécutif lui a permis de modifier certaines règles financières internes pour garantir cette avancée.« Vous ne pouvez pas arriver au bout de vos idées si financièrement, vous n’êtes pas stable et indépendant », lance-t-il, avant d’ajouter que ce changement reflète « l’ambition de faire grandir notre football ».
Dans un passage très applaudi, Samuel Eto’o revient sur les arbitres, souvent considérés comme les parents pauvres du football camerounais. Il salue les présidents Yankam et Fokou, qui selon lui, « ont pensé que les arbitres sont les footballeurs ».« Les arbitres n’ont jamais été mieux payés que sous notre administration », affirme-t-il, insistant sur la reconnaissance que la CAF leur accorde désormais. « Même quand les Lions indomptables ne sont pas alignés, nos arbitres sont là », se réjouit-il.
Presse, présidents et compagnons d’hier : entre heurts et honnêteté
Avec l’humour tendre qu’on lui connaît, Eto’o n’oublie pas les journalistes. Il reconnaît les moments de tension, les frictions, mais les replace dans une logique d’émulation mutuelle : « Un bon mariage c’est aussi ça, c’est avoir des désaccords, se discuter et l’ambition de faire mieux pour notre couple, pour nos enfants ».

Il concède : « La critique n’est pas forcément parce qu’on n’aime pas, mais pour pousser celui qui est là à aller plus loin ». Une déclaration qui a fait sourire plus d’un reporter présent dans la salle. Dans ce discours tissé de reconnaissance, il n’oublie pas les présidents de clubs, même ceux qui ne sont plus dans son cercle. « Je sais que j’ai perdu beaucoup d’amis, beaucoup de compagnons de route, mais j’essaie à chaque fois d’être juste », dit-il.
Un mea culpa sans reculade, livré avec la sincérité d’un homme qui a appris, parfois dans la douleur, la complexité du pouvoir et de l’humain.
Un au revoir en filigrane ?
Samuel Eto’o disait-il au revoir ce matin ? Le doute plane. Rien dans ses propos ne confirme un retrait de la course présidentielle. Mais tout dans son ton, sa posture, sa façon d’honorer les vivants, de pardonner aux absents et de serrer les rangs, ressemble à une passation symbolique.
Le mot « merci », répété une vingtaine de fois dans son discours, sonne comme une lettre d’adieu anticipée, ou à tout le moins comme un bilan. Un mot simple, mais qui contient tout : la reconnaissance, le deuil d’une époque, l’ouverture vers autre chose.
Alors que la CAF et la FIFA scrutent les préparatifs des prochaines élections à la FECAFOOT, l’ambiance à Mbankomo était moins celle d’un champ de bataille que celle d’une clôture de mandat. Les rideaux ne sont pas encore tirés, mais les projecteurs baissent doucement d’intensité. Samuel Eto’o Fils, fidèle à son image, pourrait encore surprendre…Ou s’éclipser dans la dignité. Mais s’il devait partir, il aura laissé une trace. Et surtout, un mot : Merci.

Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️
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