Monde| Rome sous l’étoile américaine : Avec Robert Prevost, le Vatican parle désormais avec l’accent de l’Amérique
L’élection de Robert Francis Prevost dépasse le seul champ spirituel. À travers cette désignation, l’Église catholique semble acter la centralité géopolitique et culturelle des États-Unis dans le monde contemporain, confortant un peu plus l’emprise de l’Amérique sur les équilibres globaux, y compris religieux.
Un pape américain : la puissance douce à son apogée
C’est un fait historique : pour la première fois depuis deux mille ans, un citoyen des États-Unis accède au trône de Pierre. Mais cet événement religieux ne peut être compris sans lire ce qu’il dit du rapport entre spiritualité et pouvoir mondial.
Dans un monde où l’influence ne se limite plus aux champs militaire ou économique, la nomination d’un pape américain s’inscrit dans une logique plus vaste : celle de l’expansion continue de la soft power américaine dans les sphères culturelles, intellectuelles, et désormais théologiques.
Depuis le pontificat de Jean-Paul II, les papes successifs ont tenté de rééquilibrer la gouvernance de l’Église en la décentrant de l’Europe. François, premier pape venu d’Amérique latine, en avait posé les premiers jalons. Mais avec Léon XIV, l’Église se rapproche cette fois du cœur du pouvoir mondial : Washington.
Des États-Unis périphériques au cœur du Vatican
Né à Chicago, Robert Francis Prevost est un produit typique de l’Église américaine : méthodique, engagé, doté d’une solide formation juridique et administrative. Il a cependant construit sa réputation dans les périphéries, notamment au Pérou, ce qui a pu faire croire à un profil « global ».
Mais cette trajectoire ne doit pas masquer son enracinement profond dans les réseaux institutionnels américains. En tant que préfet du dicastère pour les évêques, il a joué un rôle clé dans le choix des responsables diocésains, y compris aux États-Unis, participant ainsi à la recomposition de l’épiscopat américain autour de profils plus modérés, dans une tentative de recentrage qui sert aussi les intérêts diplomatiques du Saint-Siège avec Washington.
De nombreux analystes notent que son élection s’inscrit dans un contexte où les catholiques américains — environ 70 millions — deviennent une force d’influence stratégique. Non seulement parce qu’ils représentent un électorat courtisé par les partis politiques, mais aussi parce qu’ils contrôlent une partie significative des ressources financières de l’Église mondiale, via leurs universités, leurs ONG, leurs fondations.
Une Église américaine déjà conquérante
Depuis plusieurs décennies, les États-Unis ont su imposer leur vision du catholicisme à travers des réseaux puissants : les chaînes de télévision catholiques comme EWTN, les think tanks conservateurs comme le Napa Institute, ou encore les universités jésuites comme Georgetown.
La nomination d’un pape américain, même modéré, offre une légitimité nouvelle à ces forces d’influence qui ont parfois été en tension avec Rome. Ce glissement est d’autant plus frappant que d’autres régions du monde — Afrique, Asie, Amérique latine — où le catholicisme est en pleine croissance, n’ont pas encore eu voix au chapitre au sommet de la hiérarchie ecclésiale.
Alors que ces continents représentent désormais plus des deux tiers des catholiques de la planète, leur absence à la tête de l’Église interroge. En élisant un pape venu d’un des pays le plus riche du monde, le conclave semble cautionner une forme de centralité occidentale, au détriment d’un véritable rééquilibrage.
Une diplomatie pontificale sous pavillon américain ?
La papauté est aussi un acteur diplomatique majeur. De la médiation dans les conflits à la prise de position sur les droits humains, la parole du Vatican est écoutée sur la scène internationale. Or, avec un pape américain, il devient plus difficile de distinguer entre neutralité morale et proximité géopolitique.
Les relations du Vatican avec la Chine, les tensions en Afrique francophone, les dialogues interreligieux au Moyen-Orient… tous ces dossiers complexes seront désormais analysés à la lumière de l’identité du nouveau pape. Même s’il s’en défend, Léon XIV sera inévitablement perçu comme une figure proche des élites occidentales, voire comme un interlocuteur privilégié du gouvernement américain.
Une perception qui pourrait fragiliser la crédibilité du Saint-Siège dans les pays du Sud global, qui aspirent à une Église réellement décentrée et libérée des logiques impériales.
L’éternel retour du centre impérial
Cette élection signe un basculement symbolique : Rome parle désormais avec l’accent américain. Après le long règne de l’Europe sur la papauté, puis l’expérience latino-américaine de François, l’Amérique du Nord s’installe à la tête de la dernière monarchie absolue du monde.
Léon XIV n’est pas Donald Trump, ni Joe Biden. Mais il est issu d’un monde façonné par Harvard, CNN, Silicon Valley et Hollywood. Et dans un monde en recomposition, ce détail n’en est pas un. La religion aussi est un levier de domination. Et l’Église, dans sa sagesse ou ses contradictions, vient peut-être de céder à l’inéluctable : les États-Unis ne se contentent plus d’envoyer des présidents au monde. Ils envoient aussi des papes.
Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️