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Sénégal| Entre le président Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, une guerre de légitimité

Le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko s’opposent ouvertement sur l’avenir de la coalition qui les a portés au pouvoir. Une crise de gouvernance rare, inédite, et révélatrice de deux légitimités désormais en friction.

À Dakar, l’atmosphère politique ressemble désormais à un ciel chargé qui hésite encore à éclater. Les premiers mois du tandem formé par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko avaient été marqués par une construction patiente, presque méthodique, d’un récit commun. On racontait la complémentarité, l’amitié née dans l’épreuve, la complicité scellée dans le silence épais des geôles. Mais derrière cette vitrine rassurante, des tensions plus anciennes, discrètes, attendaient leur heure. La dynamique politique qui avait porté les deux hommes au sommet de l’État en mars 2024 s’est fissurée au fil des mois, et la rupture qui s’exprime aujourd’hui avec une rare intensité révèle une bataille d’autorité que personne ne veut nommer à haute voix, mais que tous observent avec une attention fiévreuse.

L’étincelle est venue d’une lettre datée du 11 novembre 2025, adressée aux responsables de la coalition Diomaye-Président. Le courrier annonçait, dans une formulation administrative parfaitement polie, que Bassirou Diomaye Faye mettait fin à la mission de la coordinatrice Aïssatou Mbodj, une proche d’Ousmane Sonko, figure centrale du PASTEF et voix interne respectée. Le choc fut immédiat dans le camp du Premier ministre. Dans les couloirs de son entourage, certains y ont vu non pas une décision de gestion, mais un acte politique pensé, assumé, dirigé. La désignation simultanée d’Aminata Touré pour conduire la restructuration de la coalition a achevé de faire basculer l’épisode dans une dimension conflictuelle. Le Président, en une seule lettre, venait d’ouvrir une brèche dans l’édifice qu’il partageait avec son chef de gouvernement.

Le choix Aminata Touré comme catalyseur d’une rupture

Aminata Touré, ancienne Première ministre de Macky Sall, devenue Haute-représentante du Président, porte avec elle une trajectoire complexe qui n’a jamais vraiment cessé d’intriguer. Non-membre du PASTEF, elle avait pourtant joué un rôle central dans la coordination de la campagne de 2024. Cette capacité à naviguer entre des sphères idéologiquement éloignées a forgé une relation de confiance avec Diomaye Faye, mais a nourri une profonde méfiance chez les cadres du PASTEF, qui la perçoivent comme une pièce extérieure introduite dans un mécanisme déjà fragile.

Le Bureau politique du parti, dirigé par Ousmane Sonko, a réagi ce soir-là par un communiqué d’une sévérité inhabituelle, presque cinglante. Le message était limpide : pour le PASTEF, le Président de la République n’avait ni la prérogative ni la légitimité pour démettre Aïssatou Mbodj, désignée par la Conférence des leaders. Et la nomination d’Aminata Touré était rejetée d’un bloc, décrite comme incompatible avec les valeurs et la vision du parti. Au-delà de la question de personnes, ces réactions exposaient au grand jour la divergence la plus profonde au sein du nouveau pouvoir : la coalition Diomaye-Président n’était plus seulement un outil électoral, elle était devenue le terrain symbolique d’un affrontement de légitimités.

Dans les jours qui ont suivi, les cadres du PASTEF ont rappelé qu’une nouvelle architecture politique avait déjà été pensée. Le projet de remplacer la coalition par une alliance plus disciplinée, plus cohérente, baptisée APTE, circulait depuis plusieurs semaines. Pour le parti majoritaire, la victoire de 2024 avait rendu obsolète la structure initiale, construite dans l’urgence du remplacement de candidature. La résistance de Diomaye Faye à accepter cette reconfiguration a installé le conflit sur un plan plus stratégique, plus profond, plus durable.

L’écho du  » Tera Meeting « 

Les observateurs politiques avertis savaient que la rupture ne surgirait pas du néant. Elle prenait racine dans des gestes, des signaux, des mots parfois dissimulés dans l’énergie des meetings populaires. Le Tera Meeting du 8 novembre, tenu au parking du stade Léopold-Sédar-Senghor, a été un moment charnière dans cette dynamique. Ce jour-là, Ousmane Sonko avait retrouvé son habit de tribun absolu. La foule, compacte, exaltée, scandait son nom avec une ferveur qui rappelait les moments les plus brûlants de son combat politique.

Dans un discours dense, il avait posé des lignes claires. Pour lui, toute restructuration de la coalition devait se faire autour du PASTEF, moteur électoral incontesté, parti-majoritaire, force centrale de la nouvelle gouvernance. Il avait aussi rappelé, non sans insister, sa décision de concourir seul aux législatives de 2024, une stratégie payante puisqu’il avait obtenu une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Il dénonçait autour de lui des alliés « non fidèles », des acteurs politiques qui, selon lui, profitaient de leur position pour entraver l’action du parti. Le message était clair : sans le PASTEF, rien ne se ferait durablement.

Ce discours marquait déjà une prise de distance assumée vis-à-vis du Président. Il installait l’idée d’un centre de gravité politique qui ne se trouvait plus dans les murs du palais, mais dans le parti lui-même, dont Sonko reste la figure la plus charismatique.

La bataille invisible des légitimités

La crise autour de la coordination de la coalition n’est que le miroir d’un affrontement plus profond. Bassirou Diomaye Faye incarne l’autorité institutionnelle suprême, élu par le peuple, porteur d’un mandat national. Mais il gouverne sans parti à lui, sans structure militante indépendante. Ousmane Sonko, au contraire, est à la tête du parti le plus puissant du pays, celui qui détient la majorité parlementaire et qui a façonné l’ascension politique du Président.

Cette cohabitation inédite dessine un paysage politique où deux légitimités se frôlent sans se fondre. L’une est institutionnelle, l’autre est partisane. L’une s’exprime dans les codes républicains, l’autre dans la ferveur populaire des meetings et dans le poids du Parlement. Les analystes parlent d’un équilibre instable, presque fragile, où chaque geste, chaque nomination, chaque discours devient un acte politique lourd de sens.

Dans ce contexte inflammable, les mots prononcés par Sonko lors du Tera Meeting prennent une dimension nouvelle. « Quand j’ai choisi Bassirou Diomaye Faye comme candidat, je savais, il savait, que nous ne sommes pas toujours d’accord ». Cette phrase, dense, presque solennelle, révèle une relation faite de respect, de calculs, de loyautés croisées et de divergences assumées. Diomaye Faye, de son côté, tente toujours de préserver une image d’unité. Il déclarait récemment vouloir un Premier ministre « super fort », capable, un jour, de s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Une manière d’apaiser la tension, tout en montrant qu’il ne renonce pas à sa propre autorité.

Une crise qui surgit dans un contexte économique sous pression

Cette rupture politique intervient au moment où le pays traverse une période de fragilité économique. Le pouvoir accuse l’ancien régime d’avoir caché la réalité de la dette, les déficits et les engagements financiers non déclarés. Les mesures fiscales prises pour contenir ces déséquilibres, notamment les hausses d’impôts, ont été mal accueillies par une partie de la société. Dans cette atmosphère de crispation sociale, l’affrontement entre les deux têtes de l’exécutif fragilise davantage la perception de stabilité.

Certains membres de la majorité, comme le ministre Abdourahmane Diouf, appellent ouvertement le Président à reprendre la main et à ne pas laisser le parti-majoritaire imposer une « justice des vainqueurs ». Cette sortie, très commentée, témoigne de la naissance d’un éventuel bloc présidentiel. Des alliés pourraient se repositionner pour soutenir une gouvernance moins marquée par la ligne dure du PASTEF. À mesure que le champ politique se recompose, la rivalité entre Diomaye et Sonko gagne en intensité, et ses répercussions s’étendent jusque dans les ministères.

Une coalition devenue terrain d’affrontement et miroir du futur politique

La crise actuelle dépasse largement la question de la coordination de la coalition. Elle interroge l’avenir même de la gouvernance post-2024. Le PASTEF souhaite une coalition disciplinée, centrée autour de sa vision idéologique, fidèle à la ligne qu’il a imposée pendant la transition. Le Président, lui, aspire à une structure plus large, plus ouverte, moins partisane, qui lui permettrait de gouverner avec plus de marge. Les deux visions sont incompatibles à long terme, mais les deux hommes ont encore besoin l’un de l’autre pour maintenir la cohésion du pouvoir.

Aïssatou Mbodj symbolise l’emprise du parti-majoritaire. Aminata Touré symbolise la volonté du Président de construire sa propre base politique. Ce choc de représentations traduit la profondeur d’une compétition politique qui, pour l’instant, ne dit pas son nom publiquement, mais dont chaque paragraphe de l’actualité porte la marque.

En façade, le duo continue d’affirmer son unité. Dans les couloirs, dans les cabinets, dans les consignes données aux équipes, les lignes se déplacent déjà. La coalition Diomaye-Président est devenue le premier terrain d’une confrontation plus large, celle qui déterminera qui, dans les années à venir, tiendra réellement le gouvernail du Sénégal.


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