Sénégal| Mémoire et réconciliation : Le Sénégal honore le 80e anniversaire du massacre de Thiaroye .

Ce 1er décembre 2024, le Sénégal a commémoré le 80e anniversaire d’un des événements les plus sombres de son histoire coloniale : le massacre de plusieurs dizaines de tirailleurs africains par les forces coloniales françaises, à Thiaroye, près de Dakar.

Cette cérémonie marque non seulement un temps de mémoire pour le peuple sénégalais et plus largement pour l’Afrique, mais elle constitue aussi un moment crucial dans les relations entre le Sénégal et la France, ancienne puissance coloniale.

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu en mars dernier, a placé cet anniversaire sous le signe de la réconciliation et de la vérité. Il était entouré d’importantes figures africaines : Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, président en exercice de l’Union africaine, ainsi que les chefs d’État des Comores, du Gabon, de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Chacun a déposé une gerbe de fleurs au cimetière de Thiaroye, près du camp militaire où se sont déroulés les faits.

La France était représentée par Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, qui a pris part à la commémoration. L’événement de 1944, longtemps négligé par les autorités françaises, est désormais placé au centre des préoccupations du gouvernement sénégalais. Le président Faye a dénoncé l’« omerta » qui a duré pendant 80 ans, où les vérités sur cet épisode ont été étouffées.

Cette commémoration est la première où les autorités françaises ont officiellement reconnu que les événements de Thiaroye étaient bien un « massacre ». En effet, cette année, pour la première fois, le président français Emmanuel Macron a utilisé le terme « massacre » pour qualifier l’attaque des tirailleurs africains, ce qui marque une rupture par rapport aux discours précédents.

Pour rappel, Le massacre de Thiaroye remonte au 1er décembre 1944, lorsque des tirailleurs africains, qui avaient servi dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale en Europe, étaient stationnés au camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, en attendant leur démobilisation. Ces hommes, principalement originaires du Sénégal mais aussi d’autres régions d’Afrique occidentale française, avaient combattu aux côtés des Français contre l’Allemagne nazie.

Après la guerre, ils réclamaient le paiement des arriérés de leurs soldes, non réglés par l’administration coloniale. Leur demande a été perçue comme une menace par les autorités françaises, et elles ont ouvert le feu sur les tirailleurs, faisant de nombreuses victimes. Les autorités françaises de l’époque avaient reconnu la mort d’au moins 35 soldats, mais de nombreux historiens estiment que le nombre réel des victimes pourrait être bien plus élevé, allant jusqu’à 400.

Le nombre exact des morts et les circonstances précises du massacre restent flous, et de nombreuses zones d’ombre persistent, notamment concernant l’endroit où les corps ont été enterrés. Le cimetière de Thiaroye contient 202 tombes anonymes, et il n’est toujours pas clair si elles abritent les corps des victimes du massacre.

L’approche actuelle du président sénégalais et de son gouvernement vise à mettre en lumière cet épisode tragique de l’histoire coloniale afin d’établir une relation plus transparente et équitable entre le Sénégal et la France. Pour le président Faye, il est essentiel d’avoir un « inventaire de vérité » concernant ces événements, afin de pouvoir reconstruire un partenariat « rénové » avec la France. « Nous devons être capables de dire la vérité, de dire l’exhaustivité des faits pour pouvoir avancer », a-t-il déclaré.

Cette commémoration intervient dans un contexte plus large de réévaluation des relations entre l’Afrique et ses anciennes puissances coloniales. Si les relations économiques et humaines entre le Sénégal et la France restent solides, les questions de mémoire et de réconciliation prennent désormais une place de plus en plus centrale dans ces échanges.

Les accusations de manipulation des archives et de dissimulation des faits ont trouvé un écho renforcé au Sénégal, notamment après la reconnaissance par la France de la nature massacrée des événements de Thiaroye. Le président Faye a mis en lumière l’importance de cette commémoration pour l’ensemble de l’Afrique. « Jamais nous n’avons commémoré Thiaroye avec une telle ampleur », a-t-il souligné, estimant que cette reconnaissance permet de donner à l’histoire un poids et une visibilité qu’elle n’avait pas jusqu’alors.

Cette commémoration a donc non seulement une portée symbolique pour le Sénégal, mais elle participe également à un effort plus large pour écrire une histoire partagée et rétablir la vérité sur les violences coloniales. Dans cette optique, les commémorations de 2024 s’accompagnent d’un travail historique de longue haleine pour retracer précisément les événements et permettre à tous, Sénégalais comme Français, d’accéder à la vérité sur le massacre de Thiaroye.

Pour le président Faye, ce n’est qu’à travers cette vérité, et à travers un partenariat basé sur la reconnaissance des souffrances passées, que les relations entre les deux pays pourront véritablement se « rénover ».

Ainsi, le 80e anniversaire de la tragédie de Thiaroye est bien plus qu’un simple moment de mémoire : il constitue un tournant dans la manière dont le Sénégal et la France se réconcilient avec leur passé commun. Ce processus de réécriture de l’histoire pourrait bien servir de modèle pour d’autres anciennes colonies, confrontées elles aussi aux blessures laissées par la colonisation et ses violences.

Constantin GONNANG, Afrik Inform ☑️

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