Entre mémoire des luttes passées et fractures politiques présentes, le pays de Toumaï célèbre son anniversaire dâindépendance dans un ” climat de division ” .
Depuis son accession à lâindépendance le 11 août 1960, le Tchad a traversé des décennies de conflits armés, de coups dâÃtat et de tensions intercommunautaires. Chaque étape de son histoire a été marquée par des combats pour maintenir la cohésion nationale et préserver la paix, souvent au prix de lourds sacrifices.
Des accords de réconciliation aux conférences nationales, les autorités successives ont régulièrement invoqué ” lâunité comme ciment de la nation ” , en particulier lors des grandes commémorations. Ce 65áµ anniversaire, célébré dans les rues de NâDjamena par des défilés militaires et des discours officiels, aurait pu être un moment de mémoire collective. Mais derrière les drapeaux et les hymnes, la réalité politique actuelle jette une ombre sur cette image de cohésion.
Lâascension et les combats de Succès Masra
Figure montante de la scène politique, fondateur des Transformateurs, Succès Masra sâest imposé comme lâun des principaux visages de lâopposition tchadienne. Son engagement, centré sur la justice sociale, lâÃtat de droit et la réconciliation nationale, lâa conduit en janvier 2024 au poste de Premier ministre, à la faveur dâun accord politique censé ” apaiser les tensions “.
à la primature, il prônait un dialogue inclusif et tentait dâouvrir le jeu politique à toutes les sensibilités, malgré les résistances internes. Mais cette expérience gouvernementale fut brève : en avril 2024, il démissionne sur fond de désaccords profonds avec le pouvoir, dénonçant lâabsence de volonté réelle de réforme.
Le procès qui ravive les fractures
Le 14 mai 2025, de violents affrontements intercommunautaires éclatent à Mandakao, dans le Logone-Occidental, faisant 42 morts, principalement des femmes et des enfants. Le 21 mai, Succès Masra est placé en détention préventive, accusé notamment dâ« incitation à la haine et à la révolte », de « complicité dâassassinat » et de « constitution de bandes armées ».
Au terme dâun procès très médiatisé, la Cour criminelle requalifie les charges et le reconnaît coupable de « diffusion de message à caractère haineux et xénophobe » et de « complicité de meurtre ». Le 8 août, le procureur général requiert 25 ans de prison ferme et 5 milliards de FCFA de réparation. La sentence tombe le lendemain : 20 ans de réclusion.
Pour la défense, le verdict est une « humiliation » et une « ignominie » reposant sur un « dossier vide » et « des supputations ». Les avocats dénoncent une instrumentalisation de la justice pour neutraliser un adversaire politique. Dans les rangs de lâopposition, on parle de « honte » et dâ« absence totale de preuves ».
Une unité de façade ?
Alors que les autorités appellent à la communion nationale, lâemprisonnement du principal opposant fragilise davantage la confiance entre gouvernants et gouvernés. Dans les rues, beaucoup voient dans cette coïncidence ( la fête de lâindépendance et la condamnation de Masra ) quelques jours plus tôt, le signe dâune fracture profonde.
Le message officiel dâunité, porté par les cérémonies et les symboles, contraste avec une réalité où le pluralisme politique est perçu comme étouffé et où les voix dissidentes sont réduites au silence. Pour certains, lâimage dâun Tchad rassemblé autour de ses 65 ans dâhistoire ressemble moins à un ciment quâà une vitrine destinée à masquer les tensions internes.
Le 65áµ anniversaire de lâindépendance aurait pu être lâoccasion de rappeler les combats victorieux contre les divisions passées, et de projeter le pays vers un avenir apaisé. Mais le sort judiciaire réservé à lâune de ses figures politiques majeures vient rappeler que lâunité nationale, au Tchad, reste fragile, et que derrière les célébrations, les lignes de fracture demeurent béantes.
Afrik inform âï¸
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