Le vote n’a duré qu’un instant, mais il restera comme un moment de bascule dans l’histoire politique congolaise. Ce 22 mai, le Sénat de la République démocratique du Congo a entériné la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, sénateur à vie depuis son retrait du pouvoir en 2019. La majorité des sénateurs, autrefois redevables à l’homme fort de Kingakati, ont cette fois suivi la ligne de Félix Tshisekedi, ouvrant la voie à des poursuites judiciaires pour trahison.
À Kinshasa, les observateurs avertis y ont vu le signal d’un isolement progressif de l’ancien président, dont les fidèles se comptent désormais sur les doigts d’une main au sein des institutions. Le timing du vote interroge, alors que les tensions militaires dans l’Est du pays s’intensifient, et que la présidence semble vouloir frapper fort avant les prochaines échéances électorales.
Des accusations lourdes de sens
Le cœur de l’accusation repose sur les liens supposés entre Joseph Kabila et l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition armée créée en 2023 et considérée comme une excroissance politique du M23. Ce mouvement rebelle, composé en majorité de Tutsis congolais, avait déjà été au cœur d’un soulèvement majeur entre 2012 et 2013, avant de renaître de ses cendres en 2021, en pleine crise post-électorale.
Félix Tshisekedi et ses services de renseignement assurent détenir des preuves d’un appui logistique et diplomatique accordé par Kabila à ces groupes armés, avec la complicité de certains réseaux militaires encore fidèles à l’ancien régime. Dans les cercles sécuritaires, on parle de « dissidences infiltrées » et d’un « État dans l’État » qui saboterait les efforts de pacification menés par Kinshasa dans les zones minières de Rutshuru et Masisi.
Un duel qui couvait depuis 2019
Ce face-à-face entre les deux hommes n’est pas une surprise. Dès l’alternance inédite de 2019, la cohabitation entre le camp Kabila (via le Front commun pour le Congo, FCC) et celui de Tshisekedi (avec Cap pour le changement, CACH) n’avait tenu que grâce à un savant équilibre de postes et de pactes secrets. Mais l’éclatement de cette coalition dès 2020, suivi de la chute de la présidente de l’Assemblée nationale Jeannine Mabunda, avait signé le début de l’opération de dékabilisation du régime.
Depuis, Tshisekedi s’est appliqué à démanteler l’appareil politique de son prédécesseur. Gouverneurs remerciés, juges remplacés, hommes de confiance neutralisés. La levée de l’immunité de Kabila sonne comme l’ultime étape d’une stratégie longue et méthodique, où chaque pièce du puzzle a été repositionnée jusqu’à faire vaciller l’ancien maître du pays.
Les dernières apparitions publiques de Kabila remontent à 2022, lors d’une messe organisée en mémoire de son père, Laurent-Désiré Kabila. Depuis, plus rien. L’homme reste invisible, mais son nom hante toujours les couloirs du pouvoir. La peur d’un retour surprise, ou d’une résurgence politique, justifierait, selon certains, l’acharnement judiciaire dont il serait la cible.
L’armée en état d’alerte
En toile de fond, le climat sécuritaire dans l’Est se détériore à grande vitesse. Les rebelles du M23 contrôlent plusieurs localités, malgré les efforts conjoints des FARDC et de la force régionale de la SADC. Tshisekedi accuse Kigali de soutenir ces groupes armés, et pointe du doigt une filière congolaise « haute placée » qui assurerait la jonction logistique.
La mention de Joseph Kabila dans cette équation vient renforcer la dimension explosive de l’affaire. Si la trahison était avérée, cela signifierait que l’ancien président aurait pactisé avec les ennemis de l’unité nationale. Un crime moralement plus grave que toutes les accusations de détournement de fonds qui avaient circulé ces dernières années.
Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️
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