Invité de Jules Domche dans l’émission « Rendez-vous avec l’Afrique » sur Vox Africa, le journaliste franco-camerounais Alain Foka s’est exprimé, sans fard, sur la situation politique du Cameroun, la liberté d’expression, le rôle du journaliste africain et les mutations à l’œuvre dans les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). Avec une parole assumée et tranchante, il a déroulé ses convictions, rappelant que son engagement n’a jamais été compatible avec la neutralité absolue.
Le Cameroun dans l’impasse du silence
Dès les premières minutes de l’entretien, Alain Foka a planté le décor : la gouvernance au Cameroun est à bout de souffle. « Chacun sait très bien ce que je pense du régime en place au Cameroun. Après 43 ans, on ne peut pas être efficace. Je ne crois pas. Et chacun voit le résultat. Ce n’est un secret pour personne », tranche-t-il.
Pour lui, le pays vit un immobilisme politique entretenu par le mutisme d’un pouvoir qui refuse le débat public. Il déplore l’absence d’interlocuteurs institutionnels visibles : « Tu as des ministres qui ne parlent pas. […] Et ça marche, parce que, du coup, tu n’as pas d’interlocuteur pour contrer les arguments. Ceux qui s’expriment sont de l’opposition ». Ce silence prolongé produit un brouillard où les lignes entre pouvoir et opposition deviennent floues : « Tu ne sais pas qui est opposant et qui est au pouvoir ».
L’instrumentalisation du droit
Le journaliste a aussi pointé l’usage stratégique du droit à des fins partisanes : « Dans nos pays, on utilise le droit à des fins politiques. Ça arrive très souvent ».
En exemple, il cite Maurice Kamto, ancien ministre devenu opposant : « Un jour, il est opposant ; d’un coup, il est devenu le diable. Mais puisque j’en parle, on va me dire : « Tiens, il est le défenseur de Maurice Kamto, son frère Bamileke « . Donc, je n’ai plus le droit d’en parler ».
Une forme de chantage à la neutralité qui l’insupporte.
Alain Foka ironise également sur les débats juridiques autour de la candidature de Paul Biya : « Qu’est-ce qui fait qu’on soit toujours dans des trucs loufoques ? […] Si ce sont les professeurs de droit, on ferait mieux de garder nos enfants à la maison ». Et de conclure, un brin provocateur : « S’il veut se présenter, qu’il se présente ».
Le journaliste ne peut pas être neutre
Face aux critiques sur son ton souvent militant, Alain Foka revendique sa posture : « Je pense que les journalistes doivent avoir une opinion ». Il refuse d’être enfermé dans une case : « Je suis journaliste parce que c’est mon métier. Mais est-ce que ça m’enferme à être simplement journaliste ? Non, je refuse ce cas-là ».
Il déconstruit aussi le mythe de l’objectivité absolue : « Quand on dit qu’un journaliste doit être objectif, il n’est pas un objet. C’est ridicule. […] Créer un média, ce n’est pas neutre. C’est qu’on a un message à faire passer ». Et de rappeler, à propos de ses engagements : « Si panafricaniste c’est servir l’Afrique et aimer l’Afrique, alors oui. Ça a toujours été ma motivation ».
AES : un nouveau cycle historique ?
Foka a longuement salué la détermination des pays membres de l’AES à rompre avec certaines tutelles : « Il ne venait à l’esprit de personne qu’on puisse, en plein jour, chasser l’armée française d’un pays et qu’il ne se passe rien. […] L’AES l’a fait. Et ça suscite l’admiration ».
Interrogé sur la tenue des élections dans ces pays, il nuance : « Vous demandez au Mali d’organiser des élections : sur quelle portion du territoire ? […] Comment peut-on faire de telles comparaisons avec le Gabon, qui n’était pas en guerre ? ».
Il s’inquiète aussi du peu de soutien que ces pays reçoivent : « Ces États traversent une période particulièrement compliquée. […] Si ces États échouent, on va faire un recul de 50 à 100 ans. Et je déplore l’indifférence de la plupart des nations africaines à les accompagner ».
Sortir des carcans et assumer la pluralité
Dans un plaidoyer pour la liberté d’expression, Alain Foka rejette le cloisonnement des identités professionnelles : « Je pense qu’il faut qu’on sorte des cadres, des schémas, des cases dans lesquelles on nous place ». affirme t’il.
Il revendique une voix libre, à la fois journaliste, penseur, panafricaniste, et citoyen du monde. Enfin, sur les tensions en Côte d’Ivoire, il appelle à plus d’éthique politique : « On exclut quelqu’un pour ses origines, pour son appartenance, et ça me dérange un peu. […] J’ai peur que cette exclusion produise encore les mêmes effets qu’il y a quelques années ».
Afrik inform ☑️