La Commission européenne a actualisé, le 10 juin, sa liste des pays considérés comme présentant un « haut risque » en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Parmi les décisions marquantes : l’entrée de la Côte d’Ivoire et la sortie du Sénégal. D’autres États africains, comme le Nigeria, le Burkina Faso ou encore l’Ouganda, y figurent toujours. Une cartographie du soupçon aux conséquences bien réelles.
Bruxelles continue de scruter les fragilités systémiques dans la lutte contre les circuits financiers illicites. L’initiative, calquée sur les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), ajoute la Côte d’Ivoire à cette liste sensible et en retire le Sénégal, après trois années de réformes intensives.
La liste n’a pas de portée juridique immédiate sur les aides au développement ou les mécanismes d’assistance humanitaire. Mais pour les institutions financières, elle agit comme un signal d’alerte : toute transaction impliquant un pays mentionné implique désormais une vigilance renforcée.
Pour les pays concernés, c’est une question de réputation, de crédibilité économique, et parfois d’accès aux marchés financiers internationaux.
La Côte d’Ivoire sous surveillance renforcée
Le basculement de la Côte d’Ivoire dans la catégorie des juridictions à haut risque ne constitue pas une surprise pour les observateurs. Dès octobre 2024, le GAFI avait déjà inscrit Abidjan sur sa propre « liste grise », en pointant notamment le faible niveau de poursuites effectives, l’opacité persistante dans certaines transactions bancaires et un déficit de transparence dans les enquêtes financières.
La réaction ivoirienne n’a pas tardé. Un comité de suivi a été mis sur pied afin de répondre rapidement aux exigences du GAFI. Objectif : démontrer des progrès tangibles, notamment une hausse du nombre d’enquêtes judiciaires et un durcissement des mécanismes de contrôle dans les secteurs exposés.
Mais le chantier reste vaste. « Il serait utile de limiter le plafond des transactions en espèces et de mieux former les professions exposées, comme les notaires, les avocats ou les agents immobiliers », note Christophe Kouamé, spécialiste de la gouvernance des politiques publiques.
Le Sénégal, bon élève en quête de rédemption économique
À l’inverse, le retrait du Sénégal de cette liste noire constitue une victoire symbolique et stratégique. Placé sous surveillance renforcée depuis 2021, le pays a mis en œuvre une série de réformes profondes afin de répondre aux 49 recommandations formulées par le GAFI.
Le code pénal a été revu, tout comme le code de procédure pénale, afin d’intégrer explicitement les infractions liées au financement du terrorisme individuel.
Une nouvelle structure, l’Office national de recouvrement des avoirs criminels, a été créée en 2022 pour renforcer les capacités d’enquête et de sanction.« Ce travail de fond a permis de combler les lacunes, notamment sur la qualification des délits liés au terrorisme », confirme Mor Ndiaye, à la tête de l’Office.
La loi adoptée en février 2025, relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, a été perçue comme un tournant décisif. Cette sortie de liste offre un soulagement bienvenu à l’économie sénégalaise.
Alors que le pays affiche une dette publique supérieure à 100 % de son PIB, cette évolution pourrait faciliter les levées de fonds et améliorer les conditions d’accès au crédit sur les marchés internationaux.
Un paysage africain contrasté
Si la Côte d’Ivoire entre dans la liste et que le Sénégal en sort, plusieurs pays africains y figurent toujours. C’est le cas du Nigeria, où les volumes financiers suspects sont massifs, mais aussi du Burkina Faso, du Mali, de l’Ouganda, du Mozambique et de l’Afrique du Sud.
Dans certains cas, les fragilités relevées relèvent du contexte politique ou sécuritaire. Au Mali, par exemple, l’absence de structures stables rend difficile toute mise en conformité soutenue.
En Afrique du Sud, c’est l’ampleur des scandales de corruption et la faiblesse des mécanismes de contrôle qui justifient le maintien du pays sur la liste.
Une pression normative sans sanctions directes
Si l’inscription sur la liste noire européenne ne déclenche pas de sanctions automatiques, elle impose des exigences supplémentaires aux partenaires économiques.
Les institutions européennes et les opérateurs privés doivent appliquer des mesures de diligence renforcées, ce qui peut allonger les procédures, décourager certains investisseurs, ou conduire à la suspension de certaines opérations bancaires.
Dans les faits, cela revient à créer une barrière invisible, mais redoutable, entre les pays listés et les circuits de financement internationaux.
Une opportunité de réforme sous contrainte
Pour les États concernés, ce classement n’est pas une sentence définitive, mais une alerte. Il signale des failles, mais aussi des marges de progression. Les expériences du Sénégal ou du Maroc, sorti de la liste en 2023, montrent qu’un plan d’action clair et une volonté politique peuvent inverser la tendance.
Mais pour y parvenir, il faut des institutions judiciaires solides, des autorités administratives indépendantes, et surtout des ressources humaines qualifiées. Des conditions encore loin d’être réunies dans certaines capitales africaines.
À l’heure où l’économie mondiale devient de plus en plus intégrée, le combat contre les flux illicites devient une condition d’accès aux opportunités. Et sur ce terrain, l’Union européenne impose une norme : rigueur, transparence et traçabilité.
Pour ceux qui trébuchent, la conséquence est immédiate. Pour ceux qui s’alignent, comme Dakar, la porte est entrouverte vers une reprise de confiance.
Par Constantin Gonnang pour Afrik inform ☑️