Cameroun| Ekité, 1956 : quand la France a tué pour briser l’UPC

Dans la nuit du 30 au 31 décembre de cette date là, les forces coloniales françaises et leurs supplétifs camerounais encerclent le village d’Ekité, près d’Edéa, et exécutent plusieurs dizaines d’habitants soupçonnés de sympathie avec l’Union des populations du Cameroun (UPC). Longtemps occulté par les récits officiels, ce massacre revient 69 ans plus tard dans l’actualité après que le président Emmanuel Macron l’a reconnu dans une lettre adressée à Paul Biya.

Un village pris dans la tourmente

Ekité est, à la fin des années 1950, un petit village de la région du Littoral, proche de la ville d’Edéa dans la Sanaga-Maritime. Sa population vit principalement de l’agriculture et du petit commerce, mais son emplacement stratégique sur la route Douala-Yaoundé en fait aussi un point de passage surveillé par l’administration coloniale.

À l’époque, le Cameroun est encore sous tutelle française, mais le climat politique est déjà explosif. Depuis 1955, l’Union des populations du Cameroun (UPC), principal parti indépendantiste, est interdit, ses dirigeants traqués et ses militants contraints à la clandestinité. Les autorités coloniales voient partout la main de l’UPC et redoutent son influence, particulièrement dans les villages de la Sanaga-Maritime.

Le 30 décembre 1956, les forces de sécurité reçoivent l’ordre d’« intervenir » à Ekité, accusé par des informateurs d’être un foyer actif de soutien à la rébellion. Ce qui s’annonçait comme une opération de « ratissage » tourne, dans la nuit, au drame absolu.

La nuit du massacre

Peu après minuit, des unités mixtes — soldats français, gendarmes coloniaux et miliciens camerounais — encerclent alors Ekité. Les habitants, surpris dans leur sommeil, sont extraits de leurs maisons, rassemblés sur la place du village.

Selon plusieurs témoignages recueillis après les faits, aucun procès, aucune vérification sérieuse n’a lieu : les hommes adultes sont séparés des femmes et des enfants. Les accusations sont sommaires : possession de tracts, participation à des réunions clandestines, soutien logistique aux maquisards. Les forces coloniales, dans une logique de terreur destinée à couper l’UPC de ses bases populaires, procèdent à des exécutions sommaires.

Au petit matin du 31 décembre, plusieurs dizaines de corps gisent dans le village, certains enterrés à la hâte par les familles. Les chiffres exacts varient : les archives officielles minimisent le bilan, évoquant « moins de dix morts », mais les récits oraux parlent de 50 à 70 victimes, peut-être davantage.

Un message politique de la puissance coloniale

Le massacre d’Ekité n’est pas un fait isolé : il s’inscrit dans une stratégie plus large de répression visant à briser la résistance indépendantiste dans la Sanaga-Maritime, fief historique de l’UPC à l’époque. À travers ces opérations punitives, l’administration coloniale cherche à intimider les villages soupçonnés de soutenir le maquis.

Les violences — exécutions, incendies, arrestations massives — ont aussi pour but de pousser les populations à se désolidariser des combattants. Mais à Ekité, l’effet est inverse : la brutalité de l’opération alimente un ressentiment durable. Dans la mémoire locale, la nuit du 30 au 31 décembre 1956 devient un symbole des excès de la répression coloniale et de l’injustice subie par des civils désarmés.

Des décennies de silence officiel

Pendant longtemps, l’affaire d’Ekité n’apparaît ni dans les manuels scolaires camerounais, ni dans les archives françaises accessibles au public. Les rares mentions dans les documents officiels parlent de « trouble » ou d’« opération militaire contre des rebelles armés », sans reconnaissance des exécutions sommaires.

C’est par le biais de témoignages familiaux, de recherches d’historiens comme Achille Mbembe, Richard Joseph ou Karine Ramondy, que le massacre réapparaît dans l’espace public. En 2025, lorsque le président Emmanuel Macron cite explicitement Ekité dans sa lettre à Paul Biya, il rompt ce long silence d’État.

Ce geste symbolique, s’il ne s’accompagne pas de réparations, marque toutefois une bascule : l’événement entre officiellement dans la mémoire historique franco-camerounaise.

Mémoire et quête de vérité

Aujourd’hui, à Ekité, un monument improvisé rend hommage aux victimes. Les familles, souvent marquées par l’exil, demandent depuis des années que les archives soient ouvertes et que les responsabilités soient clairement établies.

Pour elles, la reconnaissance de Macron est un premier pas, mais le travail de mémoire reste à faire : établir la liste complète des victimes, identifier les commanditaires de l’opération, et inscrire Ekité au rang des lieux de mémoire de l’histoire coloniale.

Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️


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