Cameroun | Présidentielle 2025 : Osih, Matomba, Muna – les visages d’une opposition à l’épreuve du temps

La présidentielle 2025 est derrière nous, et le paysage politique camerounais révèle ses lignes de force comme ses fragilités. Serges Espoir Matomba, Joshua Osih et Akere Muna étaient déjà de la partie en 2018, mais leurs résultats n’avaient déjà pas été à la hauteur des ambitions affichées. Sept ans plus tard, leurs trajectoires confirment des dynamiques contrastées : stratégies différentes, moments de visibilité et choix tactiques variés, mais toujours des limites face à un scrutin encadré et une opposition fragmentée. Leur parcours dessine aujourd’hui le visage contrasté de l’opposition, entre espoirs persistants et obstacles structurels.

Joshua Osih : la chute d’un espoir anglophone

Pour Joshua Osih, 2025 était censé être l’année de la consécration. Député de Wouri Centre et candidat du Social Democratic Front (SDF) pour la seconde fois, Osih portait avec lui les espoirs d’une partie de l’opposition anglophone. Sa campagne de 2018, « 24 mesures fortes pour 24 millions de rêves », affichait une ambition sociale et institutionnelle : doublement du salaire des fonctionnaires, gratuité de l’éducation, fédéralisme à dix régions, couverture santé universelle.

En 2018, il avait obtenu 3,35 % des voix, un score modeste mais révélateur d’un potentiel encore latent. « Etoudi est dans notre portée », avait-il alors lancé, symbole d’une audace teintée d’intransigeance.

 

En 2025, Osih revient avec « Rescue Cameroon », un programme articulé autour d’un fédéralisme à trois niveaux, d’une réforme institutionnelle et d’un plan de paix pour le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Bamenda, sa ville de lancement, résonnait des slogans « 43 ans, ça suffit » et « Jour 1, chaque prisonnier politique sans sang aux mains marchera librement ». La caravane du SDF a sillonné Guider, Ngalbidjé et Djamboutou, galvanisant la population.

Pourtant, les chiffres parlent : la mobilisation, bien qu’impressionnante sur le terrain, ne se traduit pas en votes massifs. Experts et analystes s’accordent : « Le SDF reste une force anglophone mais peine à s’imposer sur l’ensemble du territoire. La stratégie d’opposition pure sans alliances limite la portée électorale d’Osih », explique le politologue Jean-Claude Nguimfack. Le candidat obtient en 2025 un score inférieur ( 1,21 % ) à 2018, confirmant une régression en termes de résultats.

Serges Espoir Matomba : le militant discret de l’alternance

Serges Espoir Matomba, le candidat du Peuple Uni pour la Rénovation Sociale (PURS), reste un outsider hors des projecteurs. À Douala, où il est né et conseiller municipal, Matomba a construit son image sur l’alternance et la jeunesse. Sa campagne de 2018, « Le destin du Cameroun en 16 points », mettait l’accent sur la justice sociale, l’éducation et la gouvernance, mais ses 0,56 % des voix avaient montré la difficulté de percer face aux grands partis.

En 2025, Matomba affine sa stratégie. Il choisit de lancer sa campagne à Ndikinimeki, dans le Centre, puis de parcourir Garoua, Maroua, Buea, Limbe et Douala. Son discours reste centré sur la souveraineté, la lutte contre le tribalisme et la réduction du coût de la vie. « Nous sommes entrés en guerre contre les mauvaises routes, en guerre contre la pauvreté, en guerre contre les mauvais soins de santé », lance-t-il à Garoua.

Pour le politologue Pauline Nguenang, « Matomba illustre la difficulté pour une force émergente de se structurer et de se faire entendre dans un système dominé par les grands partis. Sa cohérence et sa constance sont remarquables, mais son ancrage limité et ses faibles moyens pèsent lourd ».

Résultat 2025 : 0,35 %, un recul léger par rapport à 2018. La chute est ténue mais elle révèle la dure réalité pour les petits partis, malgré des programmes bien construits et une mobilisation de terrain visible.

Après l’annonce des résultats, Serges Espoir Matomba rejoint le petit groupe de candidats qui ont choisi de féliciter Paul Biya pour sa réélection. Fidèle à son style mesuré et républicain, il envoie une lettre qui reflète sa position : critique mais respectueuse, lucide mais tournée vers l’avenir.

Dans cette missive, adressée au Président de la République, Matomba prend acte de la victoire tout en rappelant l’importance d’un changement de cap pour le Cameroun. Il évoque un mandat de rupture, capable de restaurer la souveraineté nationale, de combler les fractures sociales et de placer l’intérêt du pays au-dessus de tout. « Je demeure convaincu qu’au-delà de nos divergences politiques et idéologiques, nous partageons tous le même amour pour notre pays et la même responsabilité devant l’Histoire », écrit-il, synthèse de sa posture : un opposant qui ne rejette pas le dialogue, mais qui continue à défendre ses convictions et ses ambitions pour le pays.

La lettre, sobre mais ambitieuse, conclut sur un souhait de succès pour le Président, dans l’espoir que ce nouveau mandat permette au Cameroun de progresser vers la justice sociale, la dignité et la liberté retrouvée.

Akere Muna : retrait stratégique et ambiguïté

Akere Muna, avocat international et figure emblématique de la société civile, incarne une autre logique. En 2018, il s’était engagé, mais s’était retiré 48 heures avant le scrutin pour soutenir Maurice Kamto. Une manœuvre stratégique qui illustre la difficulté de l’opposition à coordonner ses forces. Le résultat ? Ses bulletins sont restés imprimés et sa contribution n’a pu se traduire que partiellement par le score de Kamto.

2025 devait être l’occasion d’une revanche. Validé par ELECAM et le Conseil Constitutionnel, Muna présente son programme des « 100 jours », axé sur la bonne gouvernance, la transparence et le développement local. Il critique ouvertement le président sortant : « Mr Biya only “reigns” and doesn’t govern ». 

Mais, une nouvelle fois, le scénario se répète. Fin septembre, les médias annoncent son retrait en faveur de Bello Bouba Maïgari. Le Parti UNIVERS dément, qualifiant la situation de « violation d’une convention ». Dans les urnes, Muna obtient 0,22 %, une chute significative mais prévisible : il n’a pas mené une campagne continue et son rôle s’est davantage traduit par une tentative de coalition que par des votes directs.

Selon la politologue Michelle Fomukong : « Muna représente la société civile confrontée aux contraintes d’un système électoral rigide et d’une opposition fragmentée. Ses retraits successifs montrent la tension entre stratégie politique et légalité du processus ».

Trois trajectoires, un constat

Ces trois parcours dessinent un tableau saisissant des réalités de l’opposition camerounaise. Fragmentée, souvent incapable de nouer des alliances solides, elle peine à dépasser ses bastions traditionnels. Face à elle, la puissance du candidat sortant et d’un appareil institutionnel structuré limite cruellement la marge de manœuvre des outsiders.

Les stratégies déployées révèlent des approches contrastées : Joshua Osih mise sur la conquête territoriale et l’usage des réseaux numériques pour capter l’attention des électeurs, Serges Espoir Matomba privilégie l’ancrage social et rural, multipliant les meetings de proximité et les engagements sur le terrain, tandis qu’Akere Muna joue la carte du retrait stratégique et du ralliement, cherchant à maximiser l’impact collectif plutôt que son score personnel.

Pour tous, le même obstacle se dresse : transformer un capital politique, une notoriété ou un programme structuré en suffrages concrets. Le 12 octobre 2025, le verdict des urnes fut clair. Chacun d’eux enregistre une régression par rapport aux ambitions qu’il affichait, mais leur parcours reste révélateur de dynamiques distinctes au sein d’une opposition en quête de repères. Comme le rappelle le politologue : « Ces résultats ne signifient pas que l’opposition est absente ; ils montrent que ses moyens, ses alliances et sa stratégie doivent évoluer pour peser dans un système politique très verrouillé ».

La présidentielle 2025 confirme une règle immuable : au Cameroun, s’opposer n’est pas un luxe, c’est un chemin semé d’obstacles et de contraintes. Mais pour Osih, Matomba et Muna, le calendrier politique ne s’arrête pas là. Les législatives et municipales de 2026 offrent une nouvelle arène, peut-être plus propice à la construction d’une influence réelle, à l’expérimentation de stratégies territoriales et à la consolidation de bases populaires. Dans cette perspective, leurs défaites d’hier pourraient bien se transformer en apprentissage et, pourquoi pas, en tremplin pour demain.


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