Tanzanie| Violence post-électorale : la Tanzanie BRÛLE

« On voulait simplement voter, et voilà notre ville en flammes ». Le ciel de Dar es Salaam s’est teinté d’un rouge inquiétant, celui des incendies qui dévorent les bus, les kiosques et les espoirs. Dans le quartier de Kimara, la chaleur des pneus qui brûlent se mêle à celle du crépuscule. Une odeur âcre flotte dans l’air, celle du caoutchouc fondu et du sang séché.

« La police tire ! Reculez ! » hurle une voix jeune, presque engloutie par le vacarme des sirènes. Les détonations résonnent sur les façades des immeubles. Des silhouettes s’écroulent, d’autres fuient à travers la poussière. Ce devait être une journée de démocratie. C’est devenu une nuit de terreur. La Tanzanie, longtemps vantée comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Est, vacille. « Au moment où nous parlons, le nombre de morts à Dar est d’environ 350 et il y en a plus de 200 à Mwanza. Si l’on ajoute les chiffres des autres endroits dans le pays, on arrive à un total d’environ 700 morts », confie à l’AFP John Kitoka, porte-parole du principal parti d’opposition, Chadema.

Le gouvernement, lui, parle de « dix morts ». Dix seulement, dans un pays où les morgues débordent.

Un scrutin sous tension

Depuis des semaines, les signes d’un basculement étaient visibles. Les rues avaient perdu leurs affiches de campagne, remplacées par les drapeaux verts du Chama Cha Mapinduzi (CCM). À Dar es Salaam, les meetings improvisés étaient systématiquement dispersés. À Arusha, les véhicules de l’opposition étaient confisqués sous prétexte d’irrégularités.

La présidente Samia Suluhu Hassan, arrivée au pouvoir en 2021 après la mort de John Pombe Magufuli, cultivait jusque-là une image de douceur et de stabilité. Une dirigeante mesurée, souriante, qui parlait de « réconciliation nationale ». Mais derrière le ton apaisant, les verrous se sont installés.

Les lois électorales ont été révisées pour resserrer le contrôle sur les candidatures. Le Chadema, seul parti capable de rivaliser avec le CCM, a été disqualifié. Tundu Lissu, figure de la dissidence, a été arrêté pour « propagande subversive ». Dans les bureaux de vote, des soldats surveillaient les urnes.

Et quand les citoyens se sont connectés pour suivre les résultats, Internet avait été coupé. Le silence numérique, dans un pays en ébullition. « Ceci n’était pas une élection, c’était une mise en scène », lâche un professeur d’université à Morogoro. « Le peuple a voté dans le noir ». 

Samia Suluhu : du symbole d’espoir à l’ombre du pouvoir absolu

Quand elle succède à Magufuli, en mars 2021, Samia Suluhu Hassan est célébrée comme la première femme présidente de Tanzanie. Son ton conciliant contraste avec le style brutal de son prédécesseur.

Elle tend la main aux médias muselés, réhabilite certains prisonniers politiques, rencontre des investisseurs. Dans les rues de Dar, on la surnomme affectueusement « Mama Samia ». Elle parle de justice, de prospérité, d’un « nouveau départ ».

Mais quatre ans plus tard, le masque s’est fissuré. Les journalistes qui l’avaient encensée sont aujourd’hui réduits au silence. Les manifestations pacifiques se soldent par des arrestations massives. « Sous Magufuli, on avait peur. Sous Samia, on a honte », confie un jeune militant joint par téléphone avant la coupure d’Internet.

La présidente, jadis symbole de dialogue, a fini par incarner le pouvoir qu’elle critiquait. Ses opposants parlent désormais d’elle comme d’une « Magufuli en tailleur », une main de fer enveloppée de velours.

À Mwanza, les morgues débordent. Des familles attendent à la porte des hôpitaux, une photo à la main. « Ils ont amené les corps de deux jeunes ce matin. Touchés à la tête ». raconte Mariam, infirmière à l’hôpital régional. « On a improvisé une chambre froide avec des blocs de glace. On ne savait plus où les mettre ». 

À Morogoro, un taxi-moto s’arrête net devant un car calciné. Son conducteur lâche : « On ne vote plus pour choisir, on vote pour survivre ». Dans Dar es Salaam, les rues bruissent de cris et de peur. Des groupes de jeunes scandent « We want our country back ! » pendant que la police tire des grenades lacrymogènes à bout portant. Le vacarme des hélicoptères couvre parfois celui des pleurs.

Un agent de la Croix-Rouge, le visage noirci par la fumée, souffle : « On a ramassé trente blessés en moins d’une heure. Les ambulances ne suffisent plus ». 

Un État contre son peuple

La Tanzanie, modèle jadis vanté par les institutions internationales, s’est refermée sur elle-même. L’armée contrôle les carrefours, les journalistes sont détenus sans chef d’accusation, les associations de défense des droits humains sont réduites au silence.

Les routes commerciales vers le Kenya et le Rwanda sont bloquées. Le corridor Dar–Kigali–Kampala, vital pour l’économie régionale, est à l’arrêt. « Le pouvoir tient par la peur », confie un universitaire de Dodoma. « La peur de parler, la peur d’être vu, la peur de mourir ». 

Les chiffres officiels du scrutin n’ont même plus d’importance. Le peuple, lui, a compris que le jeu était faussé avant même d’avoir commencé.

Un observateur politique, Roland Ebole, ancien analyste d’Amnesty International, résume avec gravité : « Cette élection n’est plus un choix, c’est une formalité administrative destinée à légitimer la continuité du pouvoir ». La coupure d’Internet a empêché la diffusion des vidéos de violence, mais quelques fragments ont filtré. Sur l’un d’eux, une femme en pagne court, un bulletin à la main, poursuivie par un policier. On entend un coup de feu, puis un silence.

Une flamme qui couve encore

Le pouvoir de Samia Suluhu sort renforcé, mais il est fissuré. Dans la douleur, une génération a compris que la démocratie n’est pas donnée — qu’elle s’arrache. Et si la Tanzanie brûle aujourd’hui, c’est peut-être le signe d’un peuple qui refuse de mourir dans le silence. « Nous n’avons pas perdu, nous avons commencé », murmure un jeune manifestant à Dar, une pierre encore chaude dans la main.

Ce 31 octobre 2025, les flammes ne consument pas seulement les rues de Tanzanie. Elles brûlent une illusion, celle d’un pays calme. Et dans la fumée, c’est une nation entière qui cherche encore son souffle.


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