Cotonou – 4 novembre 2025 — Il n’y a pas si longtemps, Patrice Talon et Thomas Boni Yayi formaient l’un des duos les plus influents de la scène politique béninoise. Yayi, ancien président de 2006 à 2016, avait apporté son soutien à Talon lors de son accession à la présidence, facilitant sa transition de magnat des affaires à homme d’État. Leur alliance, jadis perçue comme solide, incarnait un équilibre fragile mais efficace : Talon, pragmatique et réformateur, et Yayi, gardien des traditions démocratiques.
Aujourd’hui, cet équilibre est rompu. La tension a éclaté au grand jour avec la proposition de création d’un sénat dans le cadre d’une révision constitutionnelle. Ce projet, défendu par Talon comme une « architecture institutionnelle renforcée », est perçu par Yayi comme une manœuvre dangereuse, susceptible de verrouiller les institutions et de réduire l’influence de l’opposition.
Le cœur du différend : un sénat contesté
Le projet du chef d’État prévoit l’instauration d’une chambre haute, envisagée comme un mécanisme de gouvernance complémentaire au Parlement actuel. Selon le texte officiel, ce sénat pourrait intégrer des membres de droit, comme les anciens présidents, ainsi que des personnalités désignées par l’exécutif ou issues de corps spécifiques de la société civile. L’argument avancé par le gouvernement est de créer un espace de stabilité institutionnelle, capable de consolider les lois votées et de moderniser la structure politique du Bénin, tout en apportant une voix expérimentée à la prise de décision.
Pour Thomas Boni Yayi, ancien président et opposant à cette réforme, le projet ne vise pas à renforcer la démocratie mais à verrouiller davantage le pouvoir. Selon lui, le sénat tel que conçu pourrait servir à contourner le contrôle citoyen sur les lois, à limiter l’influence de l’opposition et à introduire des acteurs non élus dans le processus législatif, fragilisant ainsi le principe de représentativité. « Ni opportune ni légitime », a-t-il affirmé publiquement, dénonçant un processus d’élaboration opaque, mené sans véritable consultation nationale et dans un climat d’exclusion.
Cette opposition va plus loin que la simple critique institutionnelle : elle révèle un enjeu stratégique majeur sur la répartition du pouvoir au Bénin. En refusant de siéger, Yayi envoie un signal fort : il considère que la réforme dépasse la question technique d’une nouvelle chambre parlementaire et touche directement à l’équilibre des forces entre l’exécutif et l’opposition. Derrière les débats constitutionnels se joue donc un véritable affrontement sur le pluralisme politique, la capacité des citoyens à contrôler leurs représentants et l’avenir de la démocratie béninoise.
Les enjeux pour le Bénin
La création du sénat pourrait modifier profondément l’architecture du pouvoir législatif. Une chambre haute moins soumise à l’influence populaire pourrait renforcer la mainmise de l’exécutif, en particulier à l’approche des élections de 2026. Pour Yayi et son parti Les Démocrates, le combat n’est pas seulement politique mais historique : il s’agit de défendre l’intégrité du système démocratique et de garantir que l’opposition conserve un rôle réel et influent.
Dans ce contexte, la bataille autour du sénat dépasse la technique constitutionnelle. Elle devient un affrontement symbolique : Yayi défend la légitimité populaire, Talon défend l’efficacité institutionnelle. Les deux visions incarnent des philosophies différentes de gouvernance — l’une plus centralisée, l’autre plus participative.
Un duel institutionnel sur fond d’histoire commune
L’ironie de la situation réside dans l’histoire partagée entre les deux hommes. Talon et Yayi avaient tissé des liens forts, basés sur la confiance et la complémentarité politique. Talon bénéficiait de la légitimité de Yayi pour consolider sa position, et leur coopération avait permis de traverser plusieurs crises institutionnelles.
Cette relation, jadis exemplaire, illustre aujourd’hui les fractures qui peuvent apparaître lorsque intérêts politiques et vision institutionnelle divergent. Tandis que Talon avance ses réformes sous le signe de l’efficacité et de la centralisation, Yayi agit comme un contrepoids, rappelant les principes de démocratie participative et la nécessité de protéger l’alternance.
À Cotonou, ce face-à-face se lit comme un test pour la démocratie béninoise. Si le sénat est instauré tel que prévu, il pourrait devenir un symbole de concentration du pouvoir. Si l’opposition et Yayi réussissent à en limiter l’impact, ce serait un signal fort en faveur du pluralisme.
Le duel Talon‑Yayi illustre aussi un enseignement universel : même les alliances les plus solides peuvent se fissurer lorsque intérêts institutionnels et vision politique divergent. Pour le Bénin, la question qui se pose désormais est claire : qui écrira les règles du jeu pour la prochaine génération ? Et à travers ce projet de sénat, c’est tout le futur institutionnel et démocratique du pays qui est en jeu.
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