Krystal palace – Dans une salle où résonnaient encore les discussions techniques de la matinée, le vote fut expédié en moins d’une heure. Unanimité parfaite : 31 voix pour Eudoxie Douya. Cette femme de réseau et de rigueur, que ses pairs décrivent comme « méthodique, constante, et profondément loyale au marché », prend les rênes de l’association des Sociétés d’assurances ( ASAC ) , une association au cœur d’un secteur secoué par sa modernisation, ses attentes réglementaires et ses tensions internes. Sa première prise de parole, empreinte d’émotion, ressemblait déjà à un programme de gouvernance. Elle a parlé d’un mandat « qui n’est pas celui d’une personne, mais d’une équipe », laissant entendre que l’ASAC entre dans un cycle de rééquilibrage stratégique.
Depuis cinq ans, le marché camerounais vit une double mutation : la pression réglementaire issue de la CIMA et la demande croissante d’outils numériques capables de réduire l’informel et d’améliorer la traçabilité. La digitalisation de l’attestation automobile, saluée mais encore imparfaitement intégrée, n’a été qu’un premier pas. Les compagnies ont compris qu’elles devaient aller plus loin, mais chacune avançait selon ses capacités, au risque de creuser les écarts internes.
Dans ce contexte, l’élection d’Eudoxie Douya n’est pas seulement un vote de confiance : c’est une demande explicite de cohésion. Son discours l’a montré dès les premières phrases. Elle a dit mesurer « pleinement la responsabilité de cette mission, au service de notre marché, de nos compagnies et de tous les acteurs de la chaîne assurantielle ». Le ton était posé : ce mandat s’inscrira dans une lecture collective du secteur, non dans la défense isolée des intérêts d’un camp.
Ce besoin de réconciliation technique et institutionnelle est aussi alimenté par la transformation silencieuse du portefeuille des compagnies. Le segment Vie, encore marginal au Cameroun, peine à décoller malgré son potentiel de financement long terme. Le non-vie, lui, stagne, plombé par un climat économique fragile. Les attentes envers l’ASAC étaient donc immenses. Le vote unanime en dit autant sur elle que sur le moment.
Digitalisation : le premier front d’un mandat très attendu
Au moment où elle aborde le premier axe de son programme, Eudoxie Douya ne se contente pas d’un mot-clé. Elle insiste. Elle rappelle que « la transformation numérique est la clé majeure de notre crédibilité et de notre compétitivité ». L’enjeu est connu, mais rarement assumé : tant que les outils resteront disparates d’une compagnie à l’autre, les réformes engagées se feront au ralenti.
Dans la salle, certains ont discrètement acquiescé. Ils savent que la digitalisation n’est pas simplement un projet d’image : c’est le mécanisme indispensable pour réduire les fraudes, harmoniser les pratiques, aligner les compagnies sur les normes CIMA et surtout rétablir la confiance d’un public souvent méfiant.
Douya parle d’« étendre la dématérialisation à d’autres branches ». Le message est clair : l’automobile ne doit pas être un chantier isolé. L’assurance santé, l’incendie, et même certains segments Vie pourraient rapidement entrer dans une logique de numérisation. En creux, elle pose une question essentielle : l’ASAC doit-elle devenir une plateforme d’harmonisation numérique ? La salle y a entendu un début de réponse.
Solidarité assurantielle : la stratégie des pools comme verrou de stabilité
Le deuxième axe, consacré aux grands risques, ouvre une dimension plus politique. Le marché camerounais a souvent été pris de court par des sinistres lourds, dépassant ses capacités individuelles. Le pool pour l’assurance location de conteneurs a servi de test. Douya veut aller beaucoup plus loin.
Elle affirme que « notre marché doit faire preuve de solidarité face aux expositions majeures ». Cette phrase, simple en apparence, porte un enjeu stratégique : sans mutualisation, les compagnies camerounaises resteront dépendantes de la réassurance extérieure. L’harmonisation interne permettrait de sécuriser les engagements, de réduire certaines tensions concurrentielles, et de renforcer la stabilité d’un secteur encore vulnérable aux chocs.
Ces pools pourraient également repositionner l’ASAC comme un acteur proactif dans la gestion du risque national, là où elle n’a longtemps été qu’une structure de coordination. Les directions financières, très attentives, y ont vu une orientation rassurante : celle d’un mandat qui veut renforcer les structures internes avant de séduire l’extérieur.
Assurance Vie et capital humain : deux batailles complexes, mais décisives
Le segment Vie, sous-développé, revient comme un mantra dans toutes les discussions macroéconomiques du pays. Douya en fait son troisième levier. Elle veut en faire « un pilier de croissance et d’inclusion financière ». Le défi est immense : les produits sont mal compris, les procédures longues, et la fiscalité peu incitative. Pourtant, les marges de croissance y sont considérables.
Elle semble vouloir repositionner la branche Vie dans une perspective plus large : celle d’un secteur capable de financer des projets structurants, d’accompagner l’épargne volontaire et de renforcer l’inclusion. Pour certaines compagnies, c’est un changement de culture.
Puis vient le capital humain, un champ que l’ASAC évoque rarement avec autant de poids. Eudoxie Douya rappelle que « notre force réside dans les femmes et les hommes qui font vivre ce marché ». Elle insiste sur la formation, la transmission, la jeunesse. Un message qui résonne particulièrement chez les cadres intermédiaires, souvent oubliés dans les grandes décisions mais au cœur de la performance technique.
Dialogue institutionnel : l’ambition d’une ASAC « plus politique »
Le cinquième axe est sans doute le plus diplomatique. La relation entre l’ASAC et la Direction des Assurances n’a pas toujours été fluide. Les réformes CIMA, parfois mal comprises, ont laissé des traces. Douya veut instaurer « un cadre régulier d’échanges et de concertation ». Un partenariat stratégique avec la tutelle redonnerait à l’ASAC un rôle d’interlocuteur légitime — non pas un syndicat de compagnies, mais un acteur technique capable d’anticiper les évolutions du secteur. Cela suppose un travail politique, de patience et de constance, deux qualités que ses proches lui reconnaissent largement.
Un parcours taillé pour ce type de mandat
Sa profession de foi, dévoilée quelques jours avant l’élection, avait déjà la gravité maîtrisée d’une dirigeante qui connaît profondément son secteur. Elle y glissait des fragments de trajectoire comme autant de balises pour comprendre ce qui l’a conduite, presque naturellement, vers la présidence de l’ASAC. Elle rappelait avoir consacré « plus de vingt-huit années de [sa] vie au service du secteur des assurances », un engagement commencé dans le courtage avant de se prolonger en compagnie, jusqu’à la direction générale de Royal Onyx Insurance Cie qu’elle occupe depuis plus de sept ans. Ce passage, formulé sans emphase, dessinait pourtant l’ossature d’un parcours rare dans le paysage assurantiel camerounais : formée à l’Institut International des Assurances de Yaoundé, titulaire d’un DEA en économie d’entreprise, Eudoxie Douya (Nkollah Kamou Eudoxie Marlyse epse Douya) a cheminé au cœur des métiers techniques, des réseaux professionnels exigeants et des défis stratégiques d’un marché en mutation.
Ses collaborations avec les acteurs de la place, ses interventions publiques sur la place des femmes dans l’assurance ou encore sa participation à des partenariats structurants — notamment avec des groupes internationaux comme Aster DM Healthcare — ont contribué à forger une réputation de dirigeante solide, mesurée et respectée.
À ces responsabilités individuelles s’ajoutaient longtemps déjà des engagements collectifs. Dans son texte, elle glissait avec simplicité avoir été « membre du Bureau exécutif de l’ASAC, présidente de la Commission Incendie et présidente de la Cameroon Insurance Women Association (CIWA) ». Derrière la sobriété des mots, se profilait l’expérience d’une femme rompue aux arbitrages, sensible aux dynamiques internes, capable de tenir un mandat représentatif sans rompre l’équilibre entre les compagnies.
Son entourage parle d’une dirigeante « patiente, structurée, mais capable de fermeté quand le marché en a besoin », une réputation construite au fil des dossiers techniques, des négociations sectorielles et des chantiers de normalisation. Son ambition pour l’Association s’inscrivait dans cette continuité. Dans sa profession de foi, elle confiait croire à une ASAC « ouverte, collaborative et respectée, où chaque membre, chaque compagnie, chaque acteur se sent écouté et valorisé ».
La phrase, prononcée avec une assurance calme, résonnait comme le programme d’une présidente soucieuse de fédérer plutôt que d’imposer, de moderniser plutôt que de bouleverser. « Mon ambition est de construire, avec vous, un mandat collectif et fédérateur », écrivait-elle enfin — une manière de rappeler que l’assurance, plus que d’autres secteurs, repose sur l’amplitude des consensus et la stabilité des cadres.
Que le vote se soit soldé par un 31/31 ne relève donc ni du hasard ni d’une faveur circonstancielle. C’est la validation d’un profil que le marché connaissait déjà intimement. Une unanimité qui raconte autant la confiance que l’attente.
Dans les couloirs du Krystal Palace, une phrase revenait : “On a voté pour la stabilité”. Les conversations se sont prolongées bien après la levée de séance. Plusieurs directeurs confiaient avoir voté pour elle parce qu’elle représente « le centre ». Dans un marché parfois fragmenté entre grandes compagnies, structures moyennes et nouveaux entrants, cette capacité à fédérer valait sans doute autant que son programme technique.
Le soir tombait sur Douala lorsque les derniers participants ont quitté l’hôtel. Dans sa déclaration, elle avait promis : « Ensemble, faisons grandir l’assurance camerounaise ». C’est à la fois une ambition, un engagement, et peut-être la feuille de route la plus réaliste pour un marché qui cherche encore son alignement.
Une nouvelle page s’ouvre. Le secteur, lui, attend désormais les premières lignes.
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