Au sortir des indépendances, lâAfrique de lâOuest francophone et anglophone peine à parler dâune seule voix. Si les discours panafricains sont nombreux, les projets dâintégration restent éclatés.
Le 28 mai 1975, la rivalité entre Lagos et Lomé, entre ambition fédératrice et défense des zones dâinfluence, accouche dâun compromis historique : la création de la Communauté économique des Ãtats de lâAfrique de lâOuest (CEDEAO). Récit dâune gestation tendue.
Deux modèles, deux visions de lâAfrique de lâOuest
Au début des années 1970, lâAfrique de lâOuest est une mosaïque dâÃtats aux trajectoires divergentes. Lâère postcoloniale a renforcé les dépendances, en particulier dans lâespace francophone arrimé au franc CFA et à la tutelle économique française.
à lâinverse, le Nigéria, fraîchement sorti de la guerre du Biafra, sâaffirme comme un géant économique et démographique, bien décidé à peser sur le devenir régional.
Lagos veut structurer son voisinage immédiat, mais autour dâune architecture à dominante anglophone, ouverte mais pilotée par ses soins. Câest dans ce contexte quâémerge lâidée dâune vaste communauté économique ouest-africaine, capable de rompre avec les modèles hérités de la colonisation, tout en sâinspirant des blocs régionaux européens et asiatiques.
Mais cette ambition se heurte vite aux réticences des Ãtats francophones, notamment la Côte dâIvoire de Félix Houphouët-Boigny, qui craint une perte de contrôle face à la puissance nigériane.
Un clivage se dessine, moins linguistique que géostratégique : dâun côté, un Nigéria tourné vers lâintégration par le leadership ; de lâautre, un bloc francophone plus prudent, attaché à ses partenariats classiques avec la France.
Lomé contre Lagos : la bataille des structures régionales
En 1972, dans une tentative dâharmonisation, le Nigéria propose un projet de communauté économique ouest-africaine regroupant lâensemble des Ãtats de la région, sans distinction linguistique ni historique.
Lâhomme derrière ce projet sâappelle Adebayo Adedeji. Technocrate brillant, il imagine une organisation à la fois politique et économique, reposant sur la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.
Mais à Lomé, la réponse est immédiate. Avec lâappui dâAbidjan, le Togo de Gnassingbé Eyadéma lance lâOrganisation des Ãtats de lâAfrique de lâOuest (OEAO), sorte de contre-proposition francophone à lâinitiative nigériane. Si lâobjectif officiel est aussi lâintégration, lâenjeu est ailleurs : il sâagit de ne pas laisser Lagos imposer son tempo et son architecture.
Le face-à -face devient tendu. Les deux blocs sâactivent sur la scène diplomatique africaine, chacun tentant de rallier des pays indécis. La Guinée, socialiste et panafricaine, reste à lâécart.
La Mauritanie, alors encore tournée vers le monde arabe, participe sans enthousiasme. Seuls les petits Ãtats, comme la Gambie ou le Cap-Vert, observent prudemment les deux géants sâaffronter.
Le rôle déterminant de lâOUA et des diplomates africains
Face à cette impasse, lâOrganisation de lâunité africaine (OUA) intervient. Lâobjectif : éviter un éclatement de lâAfrique de lâOuest en blocs concurrents, comme câest déjà le cas en Afrique centrale et orientale.
à Addis-Abeba, des médiations sont menées, notamment par le secrétariat général des affaires économiques, où Adedeji joue à la fois le rôle de diplomate et de stratège.
Il faut convaincre Houphouët-Boigny que lâintégration ne signifie pas absorption. Et persuader le Nigéria de faire des concessions sur sa vision initiale.
Après plusieurs mois de négociations discrètes, un compromis se dessine : fusionner les ambitions, créer une seule organisation régionale, mais en respectant une forme dâéquilibre géopolitique et économique.
Lâaccord de Lagos : une victoire partagée, une méfiance persistanteLe 28 mai 1975, à Lagos, les dirigeants de quinze pays ouest-africains signent le traité fondateur de la CEDEAO. Les signataires sont : le Bénin, le Burkina Faso (encore Haute-Volta), le Cap-Vert, la Côte dâIvoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo.
Lâacte fondateur repose sur des principes ambitieux : libre circulation des citoyens, suppression des barrières douanières, harmonisation des politiques économiques, mise en place dâun tarif extérieur commun. Mais derrière lâélan politique, les équilibres restent fragiles. Chaque pays signe avec ses propres intérêts.
Le Nigéria garde un rôle moteur, mais sâengage à ne pas imposer sa domination. Les pays francophones obtiennent des clauses de sécurité économique, notamment sur la compatibilité avec la zone franc. La CEDEAO naît donc dâun compromis : ni tout à fait le projet nigérian, ni entièrement la version francophone.
Une structure mixte, hybride, qui devra apprendre à se réinventer face aux réalités régionales.
Une organisation née dans le tumulte, toujours en quête de cohérence
Le chemin de lâintégration régionale sera long. Les premières années sont marquées par les lenteurs bureaucratiques, les tensions internes et les coups dâÃtat à répétition dans la région. La Mauritanie finira par se retirer en 2000.
Le Ghana et la Côte dâIvoire, longtemps distants, joueront un rôle plus affirmé à partir des années 1990. Le Nigéria, malgré sa puissance, subira des crises internes qui freineront son leadership.
Pourtant, la CEDEAO deviendra lâun des rares ensembles régionaux africains à sâimpliquer dans la gestion des conflits (Ecomog), la médiation politique (Gambie, Mali, Guinée-Bissau) et lâharmonisation commerciale (Zone de libre-échange, tarif extérieur commun).
Une lente construction, toujours inachevée, mais née dâun choc initial entre visions opposées.
Constantin GONNANG, Afrik inform âï¸
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