Le gouvernement tchadien a récemment rejeté la présence d’un collectif d’avocats Francais ( Bourdon et Associés) venus assurer la défense de Succès Masra, leader du Parti Les Transformateurs, poursuivi dans une enquête judiciaire et détenu à la prison de Klessoum.
Le communiqué officiel, publié le 22 mai 2025, insiste sur la souveraineté nationale et la compétence de la justice tchadienne. Mais ce refus soulève une interrogation fondamentale : la défense par des avocats étrangers porte-t-elle atteinte à la souveraineté d’un État, ou s’agit-il d’un droit inaliénable inscrit dans les conventions internationales ?
Souveraineté nationale et compétence judiciaire : un principe fondamental
La souveraineté est la pierre angulaire de tout État. Elle implique que le Tchad détient la pleine autorité pour organiser sa justice et déterminer les modalités de la défense des accusés.
Le gouvernement rappelle, dans son communiqué, que les avocats tchadiens sont parfaitement qualifiés pour défendre Succès Masra, soulignant que « le temps des avocats étrangers qui influençaient ou dictaient leur conduite est révolu ». Ce message est clair : toute ingérence étrangère est rejetée et la justice tchadienne est capable de mener ce procès avec impartialité.
Sur le plan strictement juridique, ce rappel à l’ordre est compréhensible. Un État a le droit de préserver l’intégrité de son système judiciaire face à ce qu’il perçoit comme des ingérences. Il s’agit là d’une défense de la souveraineté et d’une affirmation de l’indépendance nationale.
Le droit à une défense libre : un pilier des droits fondamentaux
Cependant, cette posture ne saurait occulter un droit universel et fondamental : celui du droit à une défense libre et effective. Ce droit est garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Tchad, qui reconnaît à toute personne accusée la liberté de choisir son avocat.
La Convention africaine des droits de l’homme et des peuples vient renforcer cette obligation, en soulignant l’importance d’un procès équitable incluant une défense sans entrave. L’avocat international et expert en droits humains, Me Jean-Pierre Bemba, estime : « Restreindre la possibilité d’être assisté par un avocat de son choix constitue un frein à la justice équitable. Cela risque de compromettre la crédibilité du procès et d’ouvrir la voie à des contestations internationales ».
Dans cette affaire, refuser à Succès Masra la possibilité de se faire représenter par des avocats étrangers pourrait être perçu comme une restriction disproportionnée. Ce n’est pas seulement une question de souveraineté, mais bien une atteinte possible à un droit fondamental.
Or, la défense par des avocats étrangers ne signifie pas un désaveu des avocats locaux, mais plutôt une garantie supplémentaire face à la complexité et la sensibilité politique du dossier.
Un procès politique électrisé
Le cas de Succès Masra dépasse largement la sphère judiciaire : il s’inscrit dans un contexte politique chargé. Leader d’un parti d’opposition influent, Masra représente un défi pour le pouvoir en place.
Dans des contextes similaires sur le continent africain, la présence d’avocats internationaux dans des procès à haute tension politique a souvent été une réponse nécessaire pour protéger les droits de la défense et assurer une certaine transparence.
Par exemple, lors du procès de l’opposant congolais Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale, la présence d’avocats internationaux a permis de garantir une défense rigoureuse face à des accusations complexes.
En Afrique du Sud, la défense d’activistes politiques ou de leaders d’opposition a souvent inclus des équipes internationales, soulignant que la souveraineté ne doit pas être synonyme d’isolement judiciaire. Interdire les avocats étrangers dans ce contexte risque de fragiliser la confiance dans la justice tchadienne, et alimente les suspicions d’un procès politisé.
En ce sens, la défense étrangère n’est pas un déni de souveraineté, mais un moyen de garantir que la justice soit rendue de manière impartiale et respectueuse des normes internationales.
Le rôle des avocats étrangers : une pratique courante et légitime
Dans plusieurs pays africains, le recours à des avocats étrangers est une pratique courante et admise, notamment dans des affaires complexes ou sensibles.
Cette collaboration ne remet pas en cause la compétence locale mais apporte une expertise complémentaire et un regard extérieur essentiel dans un contexte judiciaire souvent fragilisé par les pressions politiques.
Me Amina Jallow, juriste sénégalaise et consultante pour l’Union africaine, explique : « La justice africaine gagne en légitimité lorsqu’elle s’ouvre à des compétences internationales, notamment dans les cas où la dimension politique peut compromettre l’impartialité locale. L’enjeu est de garantir un procès équitable, pour les accusés comme pour la société toute entière »
De plus, les avocats étrangers contribuent à la visibilité internationale de l’affaire, ce qui peut jouer un rôle dissuasif contre d’éventuelles dérives. Cette transparence renforce la crédibilité du système judiciaire, un enjeu majeur pour la légitimité de l’État.
Souveraineté ou contrôle ? L’équilibre fragile à trouver
Le Tchad est donc confronté à un dilemme délicat. D’un côté, la souveraineté nationale, à laquelle il tient légitimement, exige le contrôle exclusif de son système judiciaire. De l’autre, le respect des droits fondamentaux, notamment le droit à une défense effective, impose de ne pas entraver la liberté de choix de la défense.
Interdire les avocats étrangers, dans ce contexte, pourrait être perçu comme un acte de contrôle et non de protection. Le véritable défi pour le Tchad est de démontrer que sa justice est capable de faire face aux enjeux, sans avoir à restreindre les droits des accusés.
C’est ce subtil équilibre qui fera la différence entre une souveraineté assumée et une justice crédible. Cette affaire soulève une question cruciale pour l’ensemble des États africains. Comment concilier souveraineté et respect des droits humains dans des contextes politiques tendus ? Le procès de Succès Masra est un révélateur des défis auxquels sont confrontés de nombreux pays du continent.
La souveraineté ne doit jamais devenir un prétexte pour étouffer les droits fondamentaux, mais au contraire un cadre pour garantir une justice juste, transparente et respectueuse de tous.
Le Tchad, en affirmant sa souveraineté, doit aussi montrer sa capacité à respecter les règles internationales, condition sine qua non pour renforcer la confiance de ses citoyens et de la communauté internationale.
Constantin GONNANG, Afrik Inform ☑️
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