Afrique| Le Nil en ébullition: L’Éthiopie célèbre son barrage, l’Égypte saisit l’ONU 

Une inauguration historique à Addis-Abeba, une fierté continentale pour certains, une provocation pour d’autres. Derrière les discours enflammés et les danses traditionnelles, le Grand barrage de la Renaissance s’impose comme le symbole d’une Afrique qui veut financer seule son destin. Mais sur les rives du Caire, on crie déjà à la menace existentielle.

Addis-Abeba sous le signe de la fête

Depuis trois jours, la capitale éthiopienne vit au rythme du barrage. Addis-Abeba, vibrante et fiévreuse, s’est transformée en une gigantesque scène patriotique. Des bus entiers, bondés de citoyens brandissant le drapeau vert-jaune-rouge, ont pris la route du Benishangul-Gumuz, région frontalière du Soudan, où se dresse désormais l’ouvrage.

Une foule en fête sur le barrage

Le 9 septembre 2025, le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) a été inauguré dans un décor mêlant puissance et ferveur populaire. Danses folkloriques, chants traditionnels, défilés militaires : tout a été mis en œuvre pour immortaliser ce moment présenté comme une victoire nationale.

Les ouvriers, ingénieurs et artisans du projet ont même reçu des médailles des mains du Premier ministre Abiy Ahmed, lui-même vêtu d’un costume sobre mais auréolé d’un tonnerre d’applaudissements.

Le plus grand barrage d’Afrique

Haut de 145 mètres, large de 1,8 kilomètre, le GERD est officiellement le plus imposant barrage hydroélectrique du continent. Quatorze années de travaux, cinq milliards de dollars mobilisés… sans un seul centime de dette extérieure. L’Éthiopie revendique fièrement d’avoir financé l’ouvrage par l’effort de ses citoyens et de sa diaspora.

Abiy Ahmed l’a martelé à la tribune : « Le barrage sur le Nil est une grande réussite non seulement pour l’Éthiopie, mais un exemple brillant pour toutes les populations noires». Selon lui, le GERD permettra de doubler la production électrique nationale, d’alimenter les foyers éthiopiens et même d’exporter de l’énergie vers les voisins. Les retombées économiques sont estimées à un milliard de dollars par an.

Dans un pays encore meurtri par les guerres en Amhara et en Oromia, le barrage devient l’un des rares symboles d’unité nationale.

William Ruto, la voix d’une Afrique qui s’émancipe

Le moment fort de la cérémonie est venu du président kényan William Ruto. Acclamé par la foule, il a livré un discours vibrant, transformé en manifeste panafricaniste.

« Mesdames et Messieurs, je félicite le peuple éthiopien. Vous avez prouvé qu’avec vos propres ressources, sans dette, sans soutien extérieur, vous pouviez ériger un tel monument. Cela confirme que l’Afrique peut prendre en main son destin».

Puis il s’est adressé directement à Abiy Ahmed, l’appelant « mon frère » et l’encourageant à poursuivre son œuvre. Ruto a lui-même rappelé l’exemple du Kenya, où son gouvernement a levé quatre milliards de dollars pour des programmes de logements sans recourir aux bailleurs occidentaux.

Dans une Afrique encore marquée par la dépendance aux financements internationaux, le GERD devient pour lui un modèle d’autofinancement et d’émancipation.

Des alliés au sud, un vide au nord

Sur l’estrade, aux côtés d’Abiy Ahmed, figuraient Ismaïl Omar Guelleh (Djibouti), Salva Kiir (Soudan du Sud), Hassan Cheikh Mohamoud (Somalie), et Mahamoud Ali Youssouf, président de la Commission de l’Union africaine.

 

Mais un détail frappait les regards : l’absence des voisins du nord, Égypte et Soudan, premiers concernés par l’impact du barrage sur les eaux du Nil. Le GERD a beau être un triomphe en Éthiopie, il est perçu au Caire et à Khartoum comme une menace existentielle.

L’eau, nouvelle ligne de fracture géopolitique

Depuis le début du projet en 2011, l’Égypte redoute une réduction drastique de son accès à l’eau. Le Nil fournit près de 97 % des ressources hydriques du pays, vitales pour son agriculture et sa survie.

En cas de sécheresse prolongée, Le Caire accuse Addis-Abeba de pouvoir retenir le volume d’eau stocké derrière le barrage, compromettant la vie de millions d’Égyptiens.

Cette crainte est désormais réactivée par l’inauguration. Dans une lettre officielle au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Égypte dénonce « une mesure unilatérale violant le droit international » et se réserve le droit de prendre « toutes les mesures permises » pour défendre « les intérêts existentiels de son peuple ».

Le Soudan, lui, oscille entre inquiétudes et calculs : s’il pourrait bénéficier d’électricité à prix réduit, il craint également des perturbations dans son propre système hydraulique.

Une fierté éthiopienne, une querelle continentale

Pour Addis-Abeba, le GERD est une promesse de lumière, de croissance et de souveraineté. Pour Le Caire, il est une bombe hydrique qui plane au-dessus du delta du Nil.

Entre les danses enivrantes de l’inauguration et la froideur diplomatique des protestations à New York, le barrage est déjà plus qu’un ouvrage d’ingénierie : il devient le symbole d’un continent en quête d’autonomie, mais aussi le foyer d’une bataille géopolitique où l’eau, plus encore que le pétrole, risque d’allumer des foyers de tension.

Et sur le Nil bleu, qui serpente des hauts plateaux éthiopiens jusqu’à la Méditerranée, plane désormais une question silencieuse : l’eau, source de vie, deviendra-t-elle demain la cause d’un conflit ouvert entre frères africains ?


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