Perchée sur la colline de Mvolyé, à quelques encablures du centre administratif de Yaoundé, la basilique Marie-Reine-des-Apôtres nâest pas quâun joyau spirituel. Elle est, dans les méandres du pouvoir camerounais, un repère stratégique, un lieu où le sacré se mêle à lâinfluence, où les prières croisent les calculs politiques.
Depuis sa consécration comme basilique mineure en 2006, cette église catholique est devenue, pour les élites, bien plus quâun sanctuaire : un passage obligé, un miroir discret du régime.
Un héritage spirituel enraciné dans lâhistoire coloniale
Lâhistoire de la basilique Marie-Reine-des-Apôtres remonte à lâarrivée des premiers missionnaires pallottins allemands en 1901, menés par le père Heinrich Vieter. Accueillis par le chef traditionnel Essomba Mebe, ils sâinstallent sur la colline de Mvolyé, qui deviendra le berceau du catholicisme dans la capitale.
Câest ici quâest construite la première église catholique de Yaoundé. En 1927, elle prend le nom de cathédrale du Saint-Esprit. Près de 70 ans plus tard, sous lâimpulsion de Mgr Jean Zoa, lâancienne structure est rasée pour céder place à une nouvelle bâtisse dédiée à Marie, Reine des Apôtres.
Le chantier débute en août 1990 et la consécration officielle de la nouvelle église a lieu le 10 décembre 2006, avec la bénédiction du cardinal Jean-Louis Tauran, émissaire spécial du pape Benoît XVI. Le choix du vocable marial nâest pas anodin dans un Cameroun fortement marqué par la religiosité populaire et la dévotion mariale, particulièrement en période dâincertitudes politiques.
Un édifice au symbolisme profond
Lâarchitecture de la basilique mêle tradition chrétienne et symboles africains. Douze colonnes imposantes soutiennent la nef, en référence aux douze apôtres. Le bois local â moabi, bubinga â y côtoie le métal et la pierre dans un style à la fois sobre et majestueux. Le granit de lâautel, taillé en forme de jeton dâabbia, rappelle un jeu traditionnel du sud-Cameroun, convoquant les ancêtres dans lâacte liturgique.
Le Christ en croix et le tabernacle, réalisés selon les techniques bamoun, en bronze coulé, affirment une volonté de dialogue entre foi chrétienne et culture locale. à lâentrée, une Vierge noire trône fièrement, sculptée dans un bois sacré. Les vitraux, Åuvres du maître-verrier Henri Guérin, déroulent une fresque biblique de 100 m², inondant la basilique de couleurs vives et mystiques.
à lâextérieur, une grotte mariale offre un espace de recueillement plus intime, prisé par les pèlerins, les familles⦠et certains décideurs en quête de bénédictions avant les grandes annonces. Lieu de culte, théâtre dâinfluence, Il nâest pas rare de voir des berlines noires aux vitres fumées sâarrêter discrètement devant les grilles du sanctuaire.
Ministres, généraux, membres du cabinet civil de la présidence, hommes dâaffaires : tous sây retrouvent, souvent en catimini. Ici, on prie, mais on sâécoute aussi. Car au-delà de sa fonction religieuse, la basilique de Mvolyé joue un rôle dâintercession et dâorientation silencieuse dans les affaires de la cité.
Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala, est la figure médiatique du clergé camerounais. Mais à Yaoundé, câest un autre homme dâéglise qui concentre lâattention des cercles du pouvoir : Mgr Jean Mbarga, archevêque métropolitain de Yaoundé et recteur de la basilique. Discret, posé, mais redoutablement influent, il est considéré comme lâun des plus fidèles soutiens du président Paul Biya.
Ses prises de parole publiques sont rares, mais chacune de ses messes à la basilique â notamment lors des Te Deum dâÃtat â est scrutée, analysée, décortiquée par les cercles du régime.
Une église dans les pas du pouvoir
La basilique de Mvolyé a vu défiler les pontes du régime depuis plus de deux décennies. Câest là que Benoît XVI, lors de sa visite au Cameroun en 2009, a célébré les vêpres. Câest aussi là que Paul Biya sâest recueilli lors de certaines grandes fêtes religieuses nationales.
Lieu de silence, mais aussi de pactes implicites, elle sert dâécran de fumée et de confessionnal collectif pour une classe politique souvent en mal de légitimité populaire.Au fil du temps, le bâtiment sâest imposé comme un marqueur fort du régime Biya : solidement ancré, résistant aux tempêtes, apparemment immuable.
Sa colline surplombe Yaoundé comme pour rappeler que le pouvoir, au Cameroun, ne se tient pas uniquement au Palais dâEtoudi, mais aussi dans les alcôves feutrées de cette basilique, entre deux cierges et un Ave Maria.
Constantin GONNANG, Afrik inform âï¸
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