« Il est temps de redéfinir le rôle du journaliste camerounais. » Dans une lettre ouverte, le vétéran du journalisme, Eric Chinje, interpelle avec fermeté ses jeunes confrères et les influenceurs numériques. Il ne leur lance pas une leçon d’anciens combattants, mais un cri de ralliement.
Un appel à l’éthique dans un paysage médiatique camerounais où l’on confond souvent bruit et information, notoriété et crédibilité, et où l’argent dicte trop souvent les » unes « .
L’agonie silencieuse de la presse camerounaise
Il n’a pas haussé le ton. Il n’a pas non plus pris de gants. Eric Chinje, figure respectée du journalisme africain, a choisi l’arme la plus tranchante qui soit : la vérité.
Dans cette lettre adressée aux professionnels des médias et aux influenceurs du web, il pose un diagnostic sévère mais juste : le journalisme au Cameroun a perdu son âme. « Nous sommes devenus des instruments du pouvoir », déplore-t-il, avant d’enchaîner sur une série de constats aussi désolants que dérangeants.
Des rédactions désertées par la rigueur, des journalistes transformés en chantres d’intérêts privés, une presse affamée qui vend son intégrité pour un perdiem de conférence : Chinje met les mots sur ce que tout le monde murmure mais que peu osent écrire.
« Ce qui me rend malade, c’est que ceux qui prétendent représenter ce noble métier ne voient même pas le fossé qui s’est creusé entre eux et la mission qui leur a été confiée. », écrit t’il.
« Il n’y a plus de journalisme. Juste du bruit »
Le plus frappant, dans cette lettre, c’est la douleur contenue. Celle d’un homme qui a vu le journalisme camerounais naître, s’affirmer, puis s’effondrer. Il raconte une profession jadis redoutée pour sa capacité à dénoncer, à exposer les abus, à façonner le débat national.
Aujourd’hui ? « Nous avons été réduits à des messagers à gages. Des bouches qui récitent des scripts dictés ailleurs». Dans le paysage qu’il décrit, la frontière entre journaliste, communicant, et influenceur s’est effacée dans un flou toxique.
Certains jeunes journalistes, en quête de reconnaissance rapide, optent pour le sensationnalisme ou la connivence avec les puissants.
D’autres, influents sur les réseaux sociaux, brandissent leur audience comme un totem d’immunité. Mais à quel prix ? « Ce que nous faisons n’est plus du journalisme. C’est une comédie. Une farce où tout le monde joue un rôle, sauf celui du journaliste».
Influenceurs, nouveaux maîtres du chaos ?
Eric Chinje ne diabolise pas les influenceurs. Il leur reconnaît même une certaine capacité à mobiliser l’opinion. Mais il les somme de comprendre la gravité de leur impact.
Car un like peut amplifier une haine. Une vidéo virale peut assassiner une réputation. « Les influenceurs ne sont pas des journalistes. Mais lorsqu’ils prétendent faire de l’information, ils doivent être soumis à la même rigueur».
Il appelle à un sursaut éthique dans cet espace numérique devenu une jungle. Où la viralité a remplacé la véracité. Où les tweets remplacent les enquêtes. Où l’éclat du buzz écrase la lumière des faits.
Le journalisme n’est pas une course à la célébrité
Derrière ses mots, Chinje semble adresser un message particulier à cette génération de journalistes qui confond visibilité et crédibilité. Il ne leur reproche pas leur ambition, mais leur abandon de l’essentiel.
Il les invite à sortir du piège de la popularité, à refuser les compromissions, à se souvenir de la noblesse de leur rôle. « Nous n’avons pas été formés pour séduire, mais pour déranger. Pas pour être aimés, mais pour être crus».
C’est aussi un rappel à la responsabilité collective : celle des patrons de presse qui ferment les yeux sur la déontologie, celle des institutions qui ne protègent pas les journalistes intègres, celle du public qui consomme sans discernement.
Une profession à rebâtir. Une mission à réhabiliter.
La lettre ne se contente pas de dénoncer. Elle esquisse une voie. Celle d’un retour à l’éthique, à la rigueur, à la responsabilité. « Il est temps de reprendre notre place. De reconstruire ce que nous avons laissé s’écrouler. De remettre la vérité au centre».
Eric Chinje invite à un véritable aggiornamento, un reset profond du journalisme camerounais. Une invitation à ne pas laisser les marchands de contenus ou les trolls décider de l’agenda national. À reprendre les rênes du récit, à redevenir des éclaireurs, des vigies, des bâtisseurs de conscience.
Une dernière chance ?
Cette lettre est plus qu’un texte. C’est un miroir. Chacun y verra son reflet, qu’il soit journaliste, blogueur, patron de presse ou simple internaute. C’est une secousse salutaire pour une profession à la dérive. Un dernier avertissement avant l’oubli total.
Et dans cette époque où tout le monde parle, mais où peu écoutent, Chinje fait entendre une voix rare : celle de la mémoire, de l’expérience, de la conviction. Une voix qui, espérons-le, ne se perdra pas dans le tumulte.
Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️