Cameroun | Forêt d’Ebo : le peuple Banen face au verdict de la justice

Le Tribunal administratif du Littoral doit statuer le 18 septembre sur le reclassement d’une partie de la forêt d’Ebo en unité forestière d’aménagement. Un dossier qui oppose depuis cinq ans l’État et la communauté Banen, sur fond d’enjeux identitaires et écologiques.

C’est une affaire qui cristallise tensions et attentes : le classement de 68 385 hectares de la forêt d’Ebo dans le domaine privé de l’État, en unité forestière d’aménagement (UFA 07 006). L’acte est issu du décret N° 2023/01630/PM du 27 avril 2023, qui a relancé un dossier déjà controversé en 2020.

En juillet 2020, un premier décret de classement avait suscité une vague de protestations au Cameroun et à l’international. Moins d’un mois plus tard, le 6 août, le président Paul Biya retirait le texte, salué comme une victoire par les communautés locales et les ONG de conservation. Mais trois ans plus tard, le même décret est revenu, à l’identique, ravivant les inquiétudes des Banen et des défenseurs de l’environnement.

La forêt, berceau du peuple Banen

Pour les Banen, Ebo est plus qu’un massif forestier : c’est le socle de leur mémoire. Chassés de leurs terres dans les années 1960 pendant la répression de l’UPC, beaucoup de villages avaient été vidés, laissant place à une nature redevenue dense. « La forêt d’Ebo, c’est notre terroir, notre identité. Si elle nous échappe, nous deviendrons des apatrides dans notre propre pays », alerte SM Yetina Victor, chef du village NdikBassogog 1.

Aujourd’hui, la communauté réclame son droit coutumier à revenir et à gérer ces espaces. Des cérémonies traditionnelles continuent d’y être organisées, témoignant du lien sacré qui unit les Banen à ces terres.

Un trésor écologique convoité

La forêt d’Ebo est également un haut lieu de biodiversité. Les chercheurs y recensent des espèces uniques :

  • environ 700 chimpanzés du Nigeria-Cameroun, connus pour leur usage d’outils ;
  • une population isolée de gorilles qui pourrait représenter une sous-espèce nouvelle ;
  • le colobe bai de Preuss, primate en danger critique ;
  • des éléphants de forêt et de nombreux drills ;

plus de 12 espèces végétales endémiques, comme Talbotiella ebo et Gilbertiodendron ebo.

Au-delà de la faune et de la flore, les scientifiques estiment que le massif stocke près de 35 millions de tonnes de carbone, ce qui en fait un atout majeur dans la lutte contre le changement climatique.

Entre exploitation et protection

Le classement de la forêt d’Ebo en unité forestière d’aménagement (UFA) ouvrirait la voie à l’exploitation industrielle du bois, un secteur considéré comme stratégique pour l’économie camerounaise.

Mais ce modèle suscite de vives critiques, en raison de ses impacts sur la biodiversité et sur les communautés qui dépendent directement de la forêt. Face à cette option, certaines ONG locales et internationales ont évoqué l’idée d’un parc national pour protéger la biodiversité. Mais pour la communauté Banen, ce type de classement ne change rien à l’affaire : qu’il s’agisse d’exploitation industrielle ou de parc national, la forêt serait classée au domaine privé de l’État, au détriment de leurs droits ancestraux.

Les Banen considèrent donc que ces projets, malgré leurs intentions de conservation, restent inacceptables, car ils perpétuent une spoliation de leur territoire. L’audience du 18 septembre pourrait marquer un tournant. La juridiction administrative est appelée à arbitrer entre deux visions : celle de l’État, qui invoque la souveraineté et les besoins de développement ; celle des Banen et des organisations écologistes, qui défendent la sauvegarde d’un patrimoine unique et le respect des droits coutumiers.

« La responsabilité du tribunal est immense », souligne un membre de la société civile locale. « Ce n’est pas seulement une affaire de décret, c’est une question d’avenir pour la culture, la biodiversité et le climat ».

En attendant le verdict

À quelques jours de l’audience, l’incertitude demeure. Mais pour la communauté Banen, une chose est claire : perdre Ebo, ce serait perdre son âme. Entre mémoire ancestrale et défis environnementaux, c’est tout un pan du Cameroun qui se joue dans le silence des arbres géants.


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