Alors que Paul Biya prête serment ce matin pour un huitième mandat à la tête du Cameroun, une phrase retiendra, comme à chaque investiture, l’attention du public : « I do so swear ». Ces quatre mots, à la fois simples et solennels, sont devenus la signature rituelle du président camerounais depuis plus de quarante ans. Mais d’où vient cette formule, et quelle en est la véritable portée dans la tradition républicaine camerounaise ?
Une phrase héritée de la tradition anglo-saxonne
L’expression “I do so swear” trouve ses racines dans la culture juridique et politique anglo-saxonne, en particulier dans les serments d’allégeance britanniques et américains. Dans ces pays, le serment officiel commence généralement par “I do solemnly swear” ou se termine par “So help me God”, deux formules qui scellent l’engagement personnel du locuteur à respecter la loi, la Constitution ou une fonction d’État.
Traduit littéralement, “I do so swear” signifie : “Je le jure ainsi.” Elle est une affirmation catégorique, une manière de dire que l’on assume publiquement et moralement tout ce qui vient d’être prononcé. Dans la symbolique du pouvoir, elle ne relève donc pas d’un simple protocole linguistique, mais d’une authentique parole donnée, engageant celui qui la prononce devant Dieu, la loi et le peuple.
Un héritage de la dualité linguistique du Cameroun
Si cette formule s’est imposée dans le rituel d’investiture camerounais, c’est aussi en raison de la nature bilingue du pays. Depuis 1961, la République du Cameroun reconnaît le français et l’anglais comme langues officielles. Dans ce contexte, le chef de l’État, qui prête d’abord serment en français devant le Parlement réuni en Congrès, ajoute “I do so swear” pour marquer l’unité linguistique et nationale.
L’ajout de cette formule anglaise à la fin du texte constitutionnel a une portée symbolique : elle reflète le souci de concilier les héritages juridiques français (civil law) et britannique (common law). C’est un geste d’équilibre institutionnel qui, dans le contexte politique du Cameroun, a toujours visé à rappeler que le président gouverne au nom d’une nation doublement héritière de la colonisation européenne, mais indivisible.
Un rituel républicain codifié par la Constitution
La Constitution du 18 janvier 1996 encadre la cérémonie de prestation de serment. Son article 7 dispose que « le Président de la République, avant son entrée en fonction, prête serment devant le peuple camerounais, réuni à l’Assemblée nationale et au Sénat, de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation lui a confiées»
Le texte du serment est prononcé en français et se termine ainsi : « Je jure de respecter et de défendre la Constitution et l’unité nationale, d’assurer le bien-être du peuple camerounais et de consacrer toutes mes forces à la promotion de la paix, de la justice et de la prospérité ».
C’est après cette phrase que le président ajoute : “I do so swear.” La formule n’est pas inscrite dans la Constitution, mais elle est devenue un usage républicain constant depuis la première investiture de Paul Biya, le 6 novembre 1982. Depuis lors, aucun président camerounais n’a prêté serment autrement.
Une continuité du pouvoir et un marqueur historique
Chaque fois que Paul Biya prononce ces mots, c’est un cycle politique qui se referme et un autre qui s’ouvre. La formule “I do so swear” agit alors comme un sceau de continuité. En 1982, elle symbolisait la transition entre Ahmadou Ahidjo et son successeur, jeune et perçu comme modéré. En 1997, elle intervenait après la révision constitutionnelle qui réaffirmait la stabilité du régime. En 2011, en pleine montée des tensions dans les régions anglophones, elle prenait une valeur encore plus symbolique, celle d’un rappel d’unité nationale.
Aujourd’hui encore, alors que le président prête serment pour un huitième mandat, la formule conserve sa force rituelle. Ce “I do so swear” est devenu une marque sonore de la présidence Biya, un refrain républicain, presque liturgique, que les Camerounais associent désormais à l’image du chef de l’État lui-même.
Entre protocole et mythe politique
Au fil du temps, cette expression a dépassé son cadre purement institutionnel. Elle s’est chargée d’une valeur symbolique quasi mythique. Dans l’imaginaire collectif, elle condense la solennité du pouvoir, la longévité politique du président, mais aussi la ritualisation d’un exercice démocratique dont la forme est restée inchangée depuis quatre décennies.
Ainsi, “I do so swear” n’est plus seulement une phrase prononcée par le chef de l’État ; c’est une trace de l’histoire politique du Cameroun, un écho linguistique du pouvoir et de sa permanence, une manière pour Paul Biya de dire, à chaque mandat renouvelé : “Je persiste et je signe.”
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