Le ministre d’État, professeur Jacques Fame Ndongo, vient de publier ce qu’il présente comme son dix-neuvième ouvrage. Un livre hors norme, fruit de plus d’une décennie de recherches, qui dépasse le millier de pages – 1039 exactement –, et qui convoque à la fois les disciplines de la sémiotique, de la mythanalyse et de la pensée symbolique.
Intitulé « De l’Adamaoua à l’Océan atlantique. Les trois secrets de la Sanága », l’essai est paru aux Presses universitaires de Yaoundé (imprimé par la Sopecam, août 2025, format 21 x 29 cm). C’est à la fois un objet académique, une aventure intellectuelle et une plongée dans l’imaginaire collectif que suscite le plus long fleuve du Cameroun.
Un texte aquatique à décrypter
L’ouvrage s’organise autour de trois axiomes qui constituent l’ossature de la discipline que l’auteur a lui-même inventée en 2018 : la sémiotique arithmétique. Le premier postulat affirme que « le signe gît en tout et partout » et qu’il suffit de le rattacher à un système cohérent. Le second stipule que « tout est texte », qu’il s’agisse d’un conte, d’un vêtement, d’un code de la route ou d’un cours d’eau.
C’est ainsi que Fame Ndongo forge les notions d’« hydrèmes » et d’« aquatèmes », unités minimales du texte hydrique, justiciables d’une lecture sémiotique. Le troisième axiome établit le rôle central du chiffre, qui structure et organise tout texte, visible ou invisible, et dont il faut extraire le « cifrème », ou « nombrant ».
À partir de ces principes, la Sanága devient un méga-texte aquatique, un récit chiffré où le nombre trois et ses multiples règnent en maîtres. De sa source à Garga Limbona (4 x 3 graphèmes, 4 x 3 phonèmes) jusqu’à son embouchure à Mbiáko (3 x 2 graphèmes), le fleuve se révèle porteur d’un narratif structuré par le 3, déployant une cohérence insoupçonnée.
Dix ans de recherches pour trois secrets
L’ouvrage ne se contente pas d’un exercice théorique. Il est aussi le fruit de plus de dix années d’enquêtes et de déplacements à travers six régions camerounaises baignées par la Sanága ou ses affluents : l’Adamaoua, le Centre, l’Est, le Littoral, l’Ouest et le Nord-Ouest. Les témoignages recueillis, les traditions revisitées et les observations minutieuses convergent vers trois révélations majeures que l’auteur appelle « secrets ».
Le premier est cosmogonique, car il touche à la représentation de l’univers. C’est dans ce cadre qu’il évoque la figure mythologique du serpent Ngáŋ mədzâ, qui aurait permis aux anciens Bëti-Búlu-Faŋ de traverser la Sanága. Le deuxième secret est onomastique, lié au pouvoir des noms et des appellations.
L’hydronyme Sanága lui-même devient objet d’analyse : 3 x 2 graphèmes, 3 consonnes, 3 voyelles, 3 syllabes et 3 tons. Enfin, le troisième secret est sémantique, articulé autour du chiffre 9 (3 x 3), symbole de sacralité, de plénitude et de puissance dans les traditions des populations riveraines.
Un livre pédagogique, un manuel d’interprétation du monde
Au-delà du fleuve, Jacques Fame Ndongo conçoit son essai comme un outil pédagogique destiné à apprendre à « lire » n’importe quel texte, qu’il soit verbal ou non verbal, sensible ou métaphysique. Sa méthode consiste à isoler les unités minimales d’un discours, d’une mélodie, d’une œuvre d’art ou d’un geste, et à les replacer dans un système global de signes.
Ainsi, le lecteur est invité à comprendre le discours d’un homme politique par ses mots récurrents, à décoder les mélopées de Manu Dibango, les romans de Balzac ou les toiles de Picasso, comme autant de textes inscrits dans une trame sémiotique. L’exemple de la Sanága fonctionne alors comme modèle universel d’interprétation.
Une dédicace hautement politique
Le livre se distingue également par son para-texte. Il est dédié au président de la République du Cameroun, Paul Biya, que l’auteur crédite de quatre « kratonymes » – néologisme forgé à partir du grec kratos (pouvoir) – attribués par autant d’aires culturelles du pays : Fó bɛ fo chez les Grassfields, Jaunú lédi dans l’aire soudano-sahélienne, nnómə ngíi chez les Bëti-Búlu, et Nyâsam dans l’aire sawa.
Tous ces noms, explique l’auteur, obéissent à la logique du chiffre 3 et traduisent un pouvoir cosmogonique élevé. Cette dédicace s’accompagne d’un rappel : le décret signé par le chef de l’État en 2009, instaurant une allocation spéciale de recherche dans les universités d’État, a permis selon lui d’optimiser la recherche de haut niveau au Cameroun.
« De l’Adamaoua à l’Océan atlantique. Les trois secrets de la Sanága » est à la fois un hommage au fleuve, un manifeste méthodologique et une invitation au décryptage du monde par les signes et les nombres. Monumental par son volume, audacieux par son approche, il s’inscrit dans la continuité d’une œuvre déjà prolifique, inaugurée notamment par Le Phénomène Paul Biya en 2018, qui posait les jalons de la sémiotique arithmétique.
Jacques Fame Ndongo livre ici un texte à la croisée du savoir scientifique, du mythe et de la pédagogie, destiné à la communauté universitaire internationale mais aussi aux lecteurs curieux de percer les arcanes symboliques d’un fleuve devenu récit.
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