Cameroun| Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau : « Opposant » et « résistant »… Jusqu’à la lie.

Sokoudjou

Chef supérieur des Bamendjou, compagnon de lutte de l’UPC, farouche opposant au régime de Paul Biya et gardien inflexible des traditions bamileke, Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau traverse le temps sans renier ses combats. À plus de 90 ans, il incarne une mémoire vivante de l’histoire politique et culturelle du Cameroun, et continue de parler avec la même verve que dans ses jeunes années de militant.

À Bamendjou, son nom se murmure autant avec respect qu’avec un brin de crainte. Sokoudjou Jean Rameau naît dans une époque tourmentée, alors que le Cameroun ploie encore sous l’administration coloniale. Dans les années 1950, il rejoint les rangs de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), mouvement nationaliste en pointe du combat pour l’indépendance.

Aux côtés de figures comme Ruben Um Nyobè et Ernest Ouandié, il apprend l’art de la résistance : se cacher, se battre, survivre aux rafles. Le jeune Sokoudjou n’est pas seulement un militant : il devient messager, stratège, soutien logistique pour les maquisards. Cette vie clandestine, jalonnée d’embuscades et de nuits blanches, forge un caractère inébranlable.

Lorsqu’il accède plus tard à la tête de la chefferie de Bamendjou, il porte dans sa mémoire la discipline, la loyauté et la méfiance envers toute autorité qui cherche à soumettre son peuple.

Le Fo’o des Bamendjou

Sur les hauteurs verdoyantes de Bamendjou, sa résidence trône comme un repère. Les murs portent encore les traces des grandes cérémonies, les tambours résonnent parfois, mais le silence y est aussi dense que le poids des traditions. Sokoudjou incarne la figure ancestrale du chef : il ne gouverne pas seulement, il incarne.

Pour lui, un Fo’o est d’abord un rempart. « Le Fo’o est le mari des veuves, le père des orphelins, le gardien des malades », dit-il. Dans cette vision, le chef est le parapluie du village, celui qui marche devant pour ouvrir la route, guidé par les dieux et les génies de la concession. Un Fo’o qui entend les cris de son peuple et détourne l’oreille, estime-t-il, s’est « égaré et sera abandonné par les forces spirituelles qui le soutiennent ».

L’opposant qui refuse l’alignement

Depuis des décennies, Sokoudjou est la voix discordante de l’Ouest face au pouvoir central. Alors que nombre de ses pairs optent pour la coopération, lui cultive une distance farouche avec le régime de Paul Biya. Il n’hésite pas à dénoncer, à interpeller, à refuser toute allégeance formelle.

Cette semaine encore, il s’est démarqué. Tandis que plusieurs chefs traditionnels de l’Ouest, reçus au Palais de l’Unité par le ministre d’État Ferdinand Ngoh Ngoh, exprimaient leur soutien à la candidature du président sortant pour 2025, Sokoudjou a publié un texte au vitriol. Il y martèle : « Moi Sokoudjou, je n’ai pas envoyé quelqu’un quelque part et je n’ai pas envoyé le message à quelqu’un ». Derrière cette phrase, un message clair : il ne cautionne pas, et refuse que son nom soit associé à une cause qu’il ne porte pas.

Une parole trempée dans le feu des proverbes

Quand il parle, c’est à la manière des anciens : les phrases se tissent en images, les reproches s’habillent de proverbes. Dans son message, il compare les chefs à des marmites, prévient que « même si tu manges et essuies ta bouche, quand tu vas chier ça va sentir », fustige ceux qui « piétinent leurs cacas pour essuyer tout le monde ».

Des mots crus, mais porteurs d’un sens profond : l’honneur ne se négocie pas, la dignité ne s’échange pas contre un repas ou une photo au palais présidentiel. Cette langue imagée, Sokoudjou la manie comme une arme politique. Elle puise dans la mémoire collective et renvoie chaque interlocuteur à sa propre conscience.

Dans un Cameroun où la parole des chefs traditionnels est souvent calibrée, lui continue d’improviser avec la liberté d’un patriarche qui n’a plus rien à perdre.

Le dernier des irréductibles

Aujourd’hui, Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau est le doyen des chefs traditionnels de la région de l’Ouest. À Bamendjou, sa silhouette est reconnaissable entre toutes : grand boubou, ( parfois ) , Torse nu ( aussi ) canne à la main ( par occasion) regard de sage ( toujours ). Il marche encore avec assurance, même si l’âge ralentit ses pas.

Les habitants savent qu’il peut surgir au marché, à une cérémonie, ou sur la place du village, pour rappeler un principe, un devoir, une histoire. Dans les archives vivantes du Cameroun, il reste l’un des rares à pouvoir dire : « j’étais là, au moment où l’indépendance se gagnait à coups de sang et de clandestinité» .

Aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, Sokoudjou Jean Rameau n’a ni adouci ses mots ni arrondi ses angles. Sa voix résonne encore comme au temps de l’UPC, tranchante, indocile, insoumise. Il continue de marcher droit, le regard tourné vers ses ancêtres, le dos offert à son peuple, et la certitude qu’un chef ne meurt jamais tant que sa parole reste vivante.

Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️


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