Il est mort comme il a vécu ces derniers mois : en portant le nom de sa fille comme une plaie ouverte. Bissossolo Émile Gaston, père de la petite Orphée — cette fillette de 5 ans retrouvée violée, sodomisée puis assassinée en août 2024 à Douala — a perdu la vie dans un accident de la route dans la nuit du 30 juin 2025 à Efok, dans la région du Centre.
Un an presque jour pour jour après le drame qui avait bouleversé le Cameroun, il s’en va sans avoir vu les assassins de son enfant inquiétés, ni même une procédure judiciaire aboutie.
Un combat porté seul, jour après jour
Depuis ce jour d’août 2024, ce cadre de la communication s’était transformé en combattant. La voix d’un père, d’abord brisée par l’horreur, puis tendue comme un cri. Il écrivait, parlait, interpellait, documentait. Avec son épouse, Ils espéraient, encore. Leur requête n’avait rien de spectaculaire : ils réclamaient seulement la vérité. Pas la vengeance. Pas le vacarme. Juste la vérité. Mais l’enquête a piétiné.
Et pendant que les procédures dormaient dans les tiroirs de l’oubli, lui s’épuisait à réveiller les consciences. « Il est parti avec une question restée sans réponse. Et c’est peut-être ça, le plus insupportable », a écrit l’animateur Boris Bangteke, visiblement anéanti.
Au lendemain de la découverte du corps d’Orphée, retrouvé au bas d’un immeuble en chantier à Bonapriso, les faits étaient clairs : l’enfant avait été agressée sexuellement, puis tuée. Mais depuis, le flou est resté. Aucun suspect officiellement présenté. Aucun procès engagé. Aucun rapport finalisé.
À mesure que l’émotion s’effaçait dans l’opinion, Émile, lui, restait debout. Inconsolable, mais actif. « Tu t’appelais Émile Gaston Bissossolo. Pour beaucoup, tu étais une voix. Pour moi, tu étais un frère (…) Tu avais mille projets. Mille feux dans les yeux », poursuit Bangteke dans un long hommage teinté de révolte et de fraternité.
Le rêveur et l’indigné
Le Cameroun perd ainsi un père, mais aussi un homme engagé. Dans les coulisses de la communication, des médias, des initiatives citoyennes, Émile croyait en un autre pays, en un autre rapport au numérique, à la mémoire, à la dignité.
Il voulait transformer Pole Pole, son restaurant, en un refuge pour jeunes cadres en quête d’essentiel. Mais la vie, cette fois, n’a pas laissé la place au rêve. « Tu pars avec tant de phrases non terminées, de combats restés en suspens, de sourires inachevés. Mais tu ne pars pas vraiment. Car tu as semé trop de lumière pour que la nuit t’emporte », conclut Bangteke.
Ce mardi matin, c’est tout un réseau d’amis, de militants et de voix publiques qui a relayé l’annonce de sa disparition, entre colère, compassion et incrédulité. « On pleure comment ? Orphée a été arrachée à la vie par des assassins qui courent toujours (…) Comment va-t-elle faire, ton épouse ? », interroge avec douleur Yolande Bodiong.
Pour le comédien Moustik le Karismatik, cette nouvelle ravive la honte d’un système : « Malgré les recours introduits aux autorités compétentes, jusqu’ici aucune ligne ne bouge, aucune interpellation, juste des promesses et des procédures dignes de notre système » Et Catherine Moukoury, elle, évoque crûment une injustice brutale : « Il s’en va sans avoir vu ceux qui lui ont enlevé sa tendresse. Son épouse porte désormais le lourd fardeau de ces deux tragiques disparitions. »
Un vide qui ne doit pas étouffer la vérité
Un an après le meurtre d’Orphée, le combat pour la justice semblait s’essouffler dans les arcanes judiciaires. Mais la mort de son père, survenue dans des circonstances aussi soudaines, pourrait redonner une voix à cette affaire que beaucoup croyaient déjà engloutie par le silence. « Le Cameroun saura ce qui s’est passé. Il faut qu’il y ait justice pour Orphée », a promis Bangteke, comme une dernière promesse adressée à son frère disparu.
Pour l’heure, aucun communiqué officiel n’a encore été publié par les autorités compétentes ni sur l’accident, ni sur l’avancement du dossier Orphée. La douleur, elle, est là. Totale. Et cette fois, elle n’épargne plus personne.
Constantin GONNANG, Afrik inform ☑️
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