Monde| Empereur discret du style épuré, le couturier Giorgio Armani est mort  

À 91 ans, il laisse derrière lui un héritage unique, celui d’une mode minimaliste devenue langage universel, et une maison indépendante qui a traversé un demi-siècle sans jamais céder aux sirènes des grands groupes.

Giorgio Armani n’aimait pas les feux d’artifice. L’homme, qui vient de s’éteindre incarnait l’élégance à voix basse, la puissance de la sobriété. Il aura marqué la mode comme peu d’autres, en refusant la flamboyance tapageuse et les excès de la démesure pour inventer un style à part : des lignes épurées, des couleurs neutres, une allure allégée qui a révolutionné la garde-robe contemporaine. En s’imposant ainsi, il n’a pas seulement façonné des silhouettes : il a bâti un univers complet, devenu synonyme d’une élégance intemporelle.

L’architecte du vêtement

Contrairement à nombre de ses pairs passés par les grandes écoles de design, Armani s’est construit en autodidacte. Fils de Piacenza, il commence des études de médecine qu’il abandonne, mais dont il garde une connaissance aiguë du corps humain.

Son regard s’affine en observant les croquis d’Yves Saint Laurent et en dessinant sans relâche. Dans les années 1960, il fait ses premières armes comme étalagiste chez Rinascente, grand magasin milanais, avant d’intégrer Cerruti en tant que styliste.

En 1973, avec Sergio Galeotti, son compagnon et partenaire, il fonde sa propre structure. Très vite, Armani s’impose comme un déconstructeur du vêtement : vestes souples, épaulettes gommées, doublures allégées, pantalons libérés des plis rigides. Le costume masculin se fait fluide, presque sensuel, empruntant au vestiaire féminin des tissus jusque-là jugés inadaptés. Pour les femmes, il renverse les codes dès 1976 : silhouettes masculines adoucies par des matières aériennes, une autre manière de dire l’émancipation.

Quand Hollywood s’habille en Armani

La consécration internationale d’Armani arrive par le cinéma, ce miroir géant de la culture populaire. En 1980, Richard Gere, dans American Gigolo, enfile ses costumes fluides devant la caméra : la scène devient culte, propulsant la griffe italienne dans l’imaginaire américain.

L’acteur y incarne une masculinité nouvelle, déliée des contraintes rigides du tailoring traditionnel, à l’image même de la révolution qu’Armani voulait imposer. Deux ans plus tard, le magazine Time lui consacre sa couverture, confirmant son entrée dans le cercle restreint des créateurs capables de dialoguer avec le grand public aussi bien qu’avec les élites.

Dès lors, Hollywood se convertit massivement à ses lignes sobres. De Michelle Pfeiffer à Jodie Foster, en passant par Leonardo DiCaprio ou Cate Blanchett, des générations d’acteurs foulent le tapis rouge en Armani, faisant de ses défilés une extension naturelle du cinéma.

Ce lien est d’autant plus fort que le couturier habille aussi les artistes de la scène contemporaine, comme la chorégraphe Pina Bausch, qui trouvait dans ses vêtements une liberté de mouvement idéale pour traduire ses chorégraphies. Armani devient ainsi le trait d’union entre la mode, l’art et le spectacle vivant, imposant sa signature minimaliste comme un langage universel.

Le maître du minimalisme

Toujours vêtu d’un t-shirt bleu nuit, bronzé, silhouette athlétique, Armani apparaissait brièvement à la fin de ses défilés, saluant sans emphase. Son style, d’une rigueur assumée, reposait sur une palette restreinte : gris, beige, bleu sombre.

Au point qu’un ton particulier, le fameux « grège », est devenu sa signature. Certains lui reprochaient une austérité excessive ; mais c’est précisément ce dépouillement qui a forgé sa modernité et inspiré des générations entières de créateurs.

Au-delà de la mode : un empire et une vision culturelle

Armani, ce n’était pas qu’une maison de couture : c’était une galaxie soigneusement pensée, déployée dans presque tous les domaines du quotidien. Plus de dix lignes – de Giorgio Armani à Emporio Armani – ont décliné son univers, chacune occupant une place stratégique dans le spectre du luxe. Aux vêtements se sont ajoutés parfums, lunettes, accessoires, et même une incursion dans l’ameublement avec Armani Casa.

À Paris, à Milan, à Dubaï, ses cafés et ses hôtels portaient son nom comme une signature discrète, mais immédiatement identifiable. Pour lui, il ne s’agissait pas seulement de vendre des produits : il voulait, disait-il, « créer un style de vie Armani complet », une manière d’habiter le monde avec élégance et sobriété.

Cette ambition, il la traduisait par une gestion rigoureuse et une indépendance jalousement préservée. Tandis que d’autres griffes cédaient aux géants du luxe, Armani refusait les rachats. Ses accords avec L’Oréal pour les parfums ou EssilorLuxottica pour les lunettes assuraient des revenus colossaux tout en protégeant l’autonomie de sa maison. Rares sont les créateurs à avoir maintenu une telle liberté financière dans un univers dominé par LVMH ou Kering.

Mais cet empire ne se réduisait pas à l’économie. Armani a toujours entretenu un lien profond avec les arts. Il a dessiné des costumes pour l’opéra, notamment Cosi fan tutte de Mozart dirigé par Jonathan Miller, et soutenu Martin Scorsese dans son documentaire Mon voyage en Italie.

En 2001, il inaugure l’Armani/Teatro, conçu par l’architecte Tadao Ando, véritable vitrine culturelle où se mêlent mode, design et performances artistiques. Son esthétique, discrète mais exigeante, trouvait ainsi des prolongements bien au-delà du vêtement, confirmant qu’il se voyait autant comme un créateur de style que comme un passeur culturel.

Et maintenant ?

Sans descendance directe, Armani a préparé depuis plusieurs années la question de sa succession. Ses nièces Roberta et Silvana, son neveu Andrea Camerana, mais aussi son fidèle collaborateur Leo Dell’Orco – à ses côtés depuis 1977 – sont évoqués comme possibles héritiers de son empire. En 2016, il a créé une fondation chargée de veiller à la continuité de son œuvre.

Quelques jours avant sa mort, il confiait encore : « Mon plan de succession consiste à transférer progressivement mes responsabilités à mes proches, à ma famille et à l’équipe de travail. Je souhaite que la succession soit organique et ne marque pas une rupture ».

Armani aura traversé un demi-siècle de mode avec une rare constance. Sans fracas, sans extravagance, il a transformé la simplicité en luxe ultime. Son héritage tient dans une équation aussi limpide que ses costumes : ne rien ajouter de superflu, pour que le vêtement épouse le corps…. et la vie.


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