De la crise anglophone aux relations avec Paul Biya, en passant par le rôle actif de l’Église locale, le pontificat de François a façonné une relation subtile avec le Cameroun.
Durant ses douze années de pontificat, le pape François n’a jamais mis les pieds au Cameroun. Et pourtant, les fils tissés entre le Saint-Siège et Yaoundé n’ont jamais été rompus. Le successeur de Benoît XVI a choisi de ne pas fouler le sol camerounais, mais cela n’a pas empêché une relation faite de signes, d’appels et parfois de silences éloquents.
Un dialogue prudent avec le président Paul Biya
Depuis 2013, François et Paul Biya se sont souvent rencontrés, le chef de l’État Camerounais a fait une visite à sa sainteté le jeudi 23 Mars 2017 au Vatican .
Le Couple Présidentiel Camerounais effectuait une visite officielle au Vatican, après une visite d’Etat en Italie du 20 au 22 mars 2017. Le Président Paul BIYA et Madame Chantal BIYA ont été accueillis à 9 heures 45 par le Préfet de la Maison Pontificale à la Cour Saint Damasse de la Place Saint Pierre de Rome.
Le Président Paul BIYA s’est entretenu pendant une trentaine de minutes avec le Pape François dans la Bibliothèque privée des appartements du Saint Père qui l’a accueilli avec une parole de bienvenue en français. En retour, le Chef de l’Etat camerounais a dit au Souverain Pontife qu’il était très heureux et honoré d’être reçu une nouvelle fois par le Pape François.
Le Président Paul BIYA et son Epouse Madame Chantal BIYA avaient déjà été reçus par le Pape François lors d’une visite officielle dans l’Etat de la Cité du Vatican, le 18 octobre 2013, quelques mois seulement après le début de son pontificat.Rien n’a filtré de l’entretien à huis clos entre le Chef de l’Etat et le Souverain pontife.
Toutefois, cette nouvelle rencontre avait montré les bonnes relations que le Cameroun entretient avec l’Etat de la Cité du Vatican, mieux de la proximité autant diplomatique que spirituelle que Paul BIYA cultive avec les pontificats successifs de Jean Paul II, Benoît XVI et François.
Le Président Paul BIYA a offert au Pape François une statuette en bois de l’art négro-africain représentant un sage africain dans une attitude pensive. En retour, Sa Sainteté le Pape François a remis au Chef de l’Etat Camerounais un cadeau saint. Puis il a remis à Son Epouse Madame Chantal BIYA, ainsi qu’aux membres de la délégation un présent.
Malgré ces rencontre, les échanges sont restés protocolaires : des messages adressés à l’occasion des grandes fêtes religieuses, des lettres diplomatiques convenues.
François n’a jamais publiquement interpellé Paul Biya. Mais il a souvent évoqué « les peuples meurtris par des conflits fratricides, où la voix des pauvres n’est plus écoutée ». Dans plusieurs allocutions de Noël et discours Urbi et Orbi, ces mots semblaient traverser le Golfe de Guinée.
La crise anglophone : un silence plus expressif qu’il n’y paraît
Depuis le déclenchement de la crise anglophone en 2016, nombreux sont ceux qui ont attendu une position claire du Vatican. Le pape François, fidèle à sa diplomatie du murmure, n’a jamais nommé le Cameroun, mais a exprimé sa « profonde inquiétude face aux situations où les enfants ne vont plus à l’école, où les armes remplacent le dialogue, où la foi devient un prétexte à la division ».
Dans les cercles catholiques, ces allusions ont été interprétées comme des appels indirects à une désescalade au Cameroun. Certains évêques camerounais, comme Mgr Andrew Nkea à Bamenda, ont été reçus à Rome. Le Vatican, sans condamner ouvertement, a soutenu les initiatives de dialogue portées par l’Église locale.
Une Église camerounaise autonome mais soutenue
Le pape François a porté une attention particulière à la vitalité de l’Église camerounaise. Lors du synode des évêques sur l’Afrique, il a loué son « engagement dans l’éducation, la santé, la médiation sociale ». Le Cameroun ne compte plus de cardinal depuis Christian Tumi (décédé en 2021), que François avait qualifié de « pasteur courageux ». Le pape a aussi nommé des évêques dans des régions sensibles, avec le souci d’un équilibre entre traditions et renouvellement.
En 2020, alors que le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, effectuait une visite discrète à Yaoundé, beaucoup y ont vu un message clair : François s’intéresse à la situation camerounaise, mais préfère les canaux discrets aux confrontations publiques.
Relations épiscopales et nominations stratégiques
Bien que le Cameroun n’ait plus de cardinal depuis la mort du cardinal Christian Tumi en 2021, le pape François n’a pas délaissé l’Église camerounaise. Au contraire, plusieurs évêques ont été nommés par lui, témoignant d’une attention soutenue envers les réalités locales.
C’est le cas notamment dans la province ecclésiastique de Garoua, où François a désigné en 2016 Mgr Faustin Ambassa Ndjodo comme archevêque métropolitain. Ce dernier, visiblement ému par l’annonce du décès, a t’il confié à Cameroon Tribune : « Il nous laisse un grand héritage, structuré autour de l’amour », saluant « le vent nouveau » qu’il avait apporté à l’Église.
À Poumpoumré, dans les services de l’archevêché, l’émotion est palpable. Une messe spéciale est prévue ce lundi soir à la cathédrale Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus de Garoua, en hommage au défunt pontife. Mgr Ambassa Ndjodo a rappelé que le pape François « aimait particulièrement la province ecclésiastique de Garoua ».
Il avait également nommé Mgr Emmanuel Abbo à la tête du diocèse de Ngaoundéré et Mgr Bruno Ateba Edo à celui de Maroua-Mokolo, consolidant une génération de pasteurs enracinés dans le nord du pays.
Un voyage manqué, un regret latent
Longtemps, on a cru que le pape François se rendrait au Cameroun. En 2015, lors de son voyage en Afrique centrale, une escale à Yaoundé avait été envisagée. Mais les contraintes sécuritaires et logistiques ont orienté le Saint-Père vers Bangui, la capitale de la Centrafrique.
Ce déplacement historique a marqué les esprits, mais a aussi laissé un goût d’inachevé chez de nombreux Camerounais. « Le pape François ne nous a pas oubliés, mais il a préféré ne pas se montrer », confiait récemment un prêtre du diocèse de Douala.
Aujourd’hui, alors que le monde catholique pleure François, le Cameroun se souvient d’un pape qui n’aura jamais foulé son sol, mais qui aura souvent touché son cœur. Une figure distante et proche à la fois, qui laisse un héritage fait d’équilibre, de retenue et de lucidité.
Afrik inform ☑️