Cameroun | Loum, « la ville cailloux » : quand la terre volcanique façonne vies et paysages

Afrik Inform a arpenté ce week-end la ville de Loum, au pied du mont Manengouba, dans le département du Moungo. De la station Camoco aux tréfonds des quartiers 103, Ngodi, Nkombi 1, 2 et 3, en passant par Ngormeke, Terre Maudite, Mpondo, Abattoir, Ntoho’o Café, la Gare ou encore Ntonlongba, un constat s’impose : la ville est saturée de pierres.  Un héritage volcanique qui intrigue, dérange, mais qui façonne aussi l’identité et la richesse agricole de la cité. Nous avons mené l’enquête.

Une ville où la pierre est partout

À Loum, marcher, c’est frapper le sol de sons métalliques. Chaque pas claque sur un éclat de roche. Chaque bêche, chaque houe heurte une pierre. Dans les quartiers populaires comme Nkombi ou Abattoir, les enfants jouent au ballon sur des terrains où les cailloux remplacent presque le sable. « Ici, même pour creuser une tombe, on se bat contre la pierre », confie un habitant de Ngodi, la voix mêlée d’humour et de lassitude.

Les habitants ne s’y trompent pas : le surnom de « Loum cailloux » ne vient pas d’ailleurs. Il traduit une réalité quotidienne, vécue jusque dans les champs où, avant de planter une banane ou un caféier, il faut d’abord extraire brouette après brouette de pierres.

Une cicatrice de la ligne volcanique du Cameroun

Derrière ce décor minéral se cache une explication scientifique. Loum est posée sur l’un des segments les plus actifs de la ligne volcanique du Cameroun. Cette structure géologique, longue de près de 1 600 km, aligne volcans et montagnes, du Mont Cameroun jusqu’au lac Tchad.

« Loum est installée sur des coulées anciennes de lave basaltique issues du Manengouba et d’autres volcans de la région », explique le Pr Ngalle, géologue. Selon lui, « cette abondance de pierres s’explique aussi par les épanchements de lave du mont Koupé, dont les vestiges géologiques recouvrent encore le sous-sol de la cité » . Il continue en expliquant que « la position de Loum, au pied d’une petite chaîne de montagnes qui s’étend de Baguem en passant par Loum et Nlohé, jusqu’à Nkongsamba, renforce ce phénomène » . 

Dans cet alignement se dressent des reliefs emblématiques comme le mont Nlonako et le massif du Manengouba, autant de témoins d’une activité volcanique ancienne qui a façonné le paysage et laissé cette mer de cailloux que les habitants côtoient au quotidien. « Le basalte est une roche dure, sombre, très résistante. En se fracturant avec le temps, il se fragmente en myriades de cailloux. C’est ce qui donne à Loum son tapis de pierres», conclut le géologue.

Autrement dit, la ville est assise sur une cicatrice volcanique vieille de plusieurs millions d’années.

Quand la pluie fabrique des cailloux

Mais l’héritage volcanique n’explique pas tout. Loum est aussi l’une des régions les plus arrosées du Cameroun, avec des pluies annuelles dépassant 3 000 mm. Cette pluie, en s’abattant sur les pentes, joue un rôle d’artisan invisible : elle lessive les sols.

« Les fines particules de terre sont emportées par les ruissellements, tandis que les blocs rocheux, plus lourds, restent en place », explique une ingénieure des sols au centre IRAD de Nkolbisson. « C’est ainsi que l’érosion agit comme une machine à fabriquer des surfaces caillouteuses. À Loum, la pluie n’arrose pas seulement : elle dénude, elle révèle ». Dit-elle.

Le climat tropical humide, allié à la pente des reliefs, transforme donc Loum en véritable vitrine de l’érosion naturelle.

Des cailloux, mais une terre généreuse

Et pourtant, Loum n’est pas stérile. Loin de là. Le paradoxe intrigue autant qu’il fascine : sous ce manteau minéral, la terre reste d’une fertilité exceptionnelle. Le basalte, en se décomposant, libère une richesse en minéraux rares – magnésium, potassium, fer, calcium – qui transforment les champs de Loum en un véritable laboratoire agricole à ciel ouvert.

Dans les quartiers comme Terre Maudite ou Ntoho’o Café, on croise des parcelles où se mêlent caféiers, bananiers, manioc, macabo, thé et cultures vivrières. « Les cailloux fatiguent, mais quand tu sèmes, la terre nourrit », confie Marthe, productrice de café depuis vingt ans. « Chaque saison, il faut se battre, mais on ne manque jamais de récolte ».  Cette fertilité paradoxale a façonné l’histoire économique de Loum : dès les années 1950, la ville est devenue l’un des grands pôles du café arabica et robusta, exporté jusque dans les ports de Douala et de Limbé.

Le sol basaltique ne se contente pas de nourrir. Il structure aussi les paysages agricoles. Les collines pierreuses forcent les paysans à inventer des méthodes d’adaptation : terrasses improvisées, alignement des cultures entre les rochers, voire l’utilisation des pierres elles-mêmes comme « brise-vent » naturels protégeant les jeunes plants.

Ces stratégies rappellent les systèmes agricoles des Andes ou d’Hawaï, où les civilisations anciennes avaient, elles aussi, appris à dialoguer avec la lave et la pierre. Aujourd’hui encore, malgré l’exode rural et la crise des filières traditionnelles, Loum reste un grenier.

Le marché local regorge de régimes de bananes plantains, de sacs de cacao, de café séché au soleil, mais aussi de légumes frais qui approvisionnent Douala et Nkongsamba. « C’est une terre qui donne sans cesse, à condition de lui résister », explique Pierre, agronome installé dans la région. Selon lui, « la concentration en nutriments du sol basaltique fait de Loum l’un des terroirs agricoles les plus prometteurs du Cameroun » .

Mais cette générosité a un revers : l’agriculture y demande plus d’efforts physiques que dans les plaines. Les paysans doivent sans cesse déplacer les pierres pour libérer de nouveaux espaces de culture, entretenir des sols en pente et gérer une érosion accentuée par les pluies violentes. Ce combat quotidien forge une culture paysanne particulière : patiente, résiliente, profondément ancrée dans la pierre.

À force de lutter contre la pierre, les paysans de Loum ont développé un art d’apprivoiser le sol. Les cailloux retirés des champs sont réutilisés pour construire des murets anti-érosion, délimiter les parcelles, paver les cours ou renforcer les cases. « Rien ne se perd. Ici, même le caillou travaille pour nous », raconte Joseph, cultivateur de Nkombi 2.

Dans certaines rues, les pierres forment presque naturellement des trottoirs improvisés. Elles sont devenues, malgré elles, des alliées du quotidien.

Une identité forgée dans la roche

À Loum, la pierre est plus qu’une contrainte : elle est devenue une identité. Le surnom « Loum cailloux » traduit à la fois une réalité géologique et un sentiment d’appartenance. Dans les veillées, on en rit. Dans les champs, on s’en plaint. Mais partout, la pierre est acceptée comme un élément constitutif de la vie.

« La première chose qu’on dit à un étranger, c’est : bienvenue à Loum cailloux », sourit un jeune du quartier Ngormeke. « C’est dur, mais c’est nous».

Le cas de Loum illustre à merveille la manière dont la géologie sculpte les destins humains. La pierre y est à la fois ennemie – parce qu’elle complique chaque effort agricole – et alliée, parce qu’elle assure des sols d’une richesse rare. Elle raconte aussi une histoire : celle de volcans disparus, de pluies battantes et de populations résilientes.

À Loum, les cailloux ne sont pas de simples fragments de roche : ils racontent une histoire ancienne, inscrite dans le sol, et rappellent que cette ville est autant façonnée par l’homme que par la géologie.

Constantin GONNANG de retour de LOUM pour Afrik inform ☑️


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