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Un collectif d’ONG africaines a saisi la justice française pour dénoncer des pratiques jugées frauduleuses dans l’attribution et la gestion des concessions portuaires par le groupe Bolloré en Afrique. La plainte, déposée le 18 mars 2025 auprès du Parquet national financier (PNF), vise l’ancien PDG Vincent Bolloré et son fils Cyrille pour des faits présumés de recel et de blanchiment d’actifs.
Des contrats portuaires sous haute suspicion
Le collectif Restitution pour l’Afrique (RAF), constitué d’une dizaine d’associations basées au Togo, en Guinée, au Ghana, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, reproche à l’entreprise d’avoir obtenu plusieurs contrats portuaires dans des conditions opaques.
Selon les plaignants, ces marchés auraient été attribués grâce à des liens privilégiés entre le groupe et certaines élites politiques locales, en échange d’un soutien financier lors des campagnes électorales.
Ces accusations ne sont pas nouvelles,la justice française s’intéresse depuis 2013 aux conditions d’attribution des ports de Lomé (Togo) et Conakry (Guinée). À l’époque, les enquêteurs soupçonnaient déjà le groupe d’avoir utilisé sa filiale de communication Euro RSCG (devenue Havas) pour influencer les scrutins présidentiels de Faure Gnassingbé et Alpha Condé en 2010.
D’autres concessions portuaires, notamment à Abidjan (Côte d’Ivoire), Douala et Kribi (Cameroun), ainsi qu’à Tema (Ghana), sont également citées dans la nouvelle plainte. Les signataires évoquent des pratiques de favoritisme et de trafic d’influence, ayant permis à Bolloré de consolider son empire logistique en Afrique pendant des décennies.
Une manne financière au cœur du débat
En 2022, Vincent Bolloré a cédé sa filiale Bolloré Africa Logistics à l’armateur italo-suisse MSC pour un montant de 5,7 milliards d’euros. Or, le collectif RAF estime que cette transaction repose sur des actifs obtenus frauduleusement et réclame une restitution d’une partie des bénéfices aux États africains concernés.
Le rapport d’une commission anti-corruption camerounaise cité dans la plainte évoque, par exemple, 60 millions d’euros de redevances et d’amendes que le groupe aurait dû reverser aux autorités locales pour ses activités à Douala et Kribi, mais qui auraient été détournés.
Au Ghana, le choix du consortium Bolloré/Maersk pour la gestion du port de Tema aurait entraîné une perte estimée à 4,1 milliards de dollars pour le pays.
Un procès attendu
Si cette plainte aboutit, elle pourrait marquer un tournant dans la lutte contre la corruption en Afrique. Contrairement aux affaires de « biens mal acquis » qui visent également le groupe, cette procédure cible directement les corrupteurs présumés.
L’objectif est de faire appliquer la loi française de 2021, qui permet d’allouer les fonds issus de la corruption à des projets de développement dans les pays lésés.« Nous voulons que les populations africaines bénéficient d’une restitution des sommes détournées et que justice soit faite», explique Jean-Jacques Lumumba, président du collectif RAF et lanceur d’alerte congolais.
Le Parquet national financier, qui avait déjà ouvert une enquête contre Bolloré par le passé, avait conclu un accord en 2021 avec l’entreprise, lui permettant d’éviter un procès en échange d’une amende de 12 millions d’euros. Mais en juin 2024, la justice française a décidé de relancer l’affaire en raison de la gravité des faits reprochés.
Ce nouveau volet judiciaire pourrait ainsi redessiner les contours des relations économiques entre grandes multinationales et États africains, et poser la question d’une plus grande transparence dans l’attribution des marchés publics sur le continent.
Constantin GONNANG avec France 24 pour Afrik inform ☑️