En quelques jours seulement, al-Joulani a renversé le régime de Bachar el-Assad, grâce à une offensive militaire éclair. Chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), il a opéré un virage stratégique surprenant ces derniers mois. Ancien membre d’al-Qaïda et responsable de nombreuses attaques jihadistes, il semble avoir abandonné son image radicale pour se présenter comme un leader politique prêt à conduire la Syrie vers une nouvelle ère.
Depuis la chute de ce dernier, il cherche à se détacher de son passé de jihadiste pour offrir aux Syriens une alternative politique. Abandonnant son nom de guerre, il réclame désormais qu’on l’appelle par son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Charaa, et adopte une apparence plus soignée, optant pour des costumes ou des tenues militaires au lieu de la traditionnelle tenue islamiste.
De la radicalisation à la révolte syrienne
Né en 1983 à Deraa, dans le sud de la Syrie, Abou Mohammed al-Joulani a grandi dans un milieu bourgeois. Son père, ingénieur pétrolier, travaillait en Arabie Saoudite, où il passa une partie de son enfance. De retour à Damas, al-Joulani se lance dans des études de médecine, mais c’est au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 qu’il se radicalise profondément.
Très influencé par la deuxième Intifada et les idéaux du jihad, il rejoint les rangs des combattants d’al-Qaïda en Irak après l’invasion américaine de 2003. Après plusieurs années passées dans les geôles syriennes, il revient en Syrie en 2011, une fois le soulèvement contre Bachar el-Assad lancé. Il fonde alors le Front al-Nosra, une branche d’al-Qaïda en Syrie, avant de rompre en 2016 les liens avec l’organisation terroriste pour créer Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une coalition de groupes rebelles islamistes.
Un parcours marqué par des choix tactiques
Le choix d’al-Joulani de rompre avec al-Qaïda, en 2016, n’est pas anodin. Cette décision visait avant tout à éloigner son groupe des accusations de terrorisme global qui pesaient sur al-Qaïda, notamment après les attentats du 11 septembre.
Le groupe devient ainsi plus « acceptable » sur la scène internationale, bien qu’il garde des fondements islamistes radicaux. Al-Joulani, dont la tête a été mise à prix par les États-Unis pour 10 millions de dollars, a réussi à se débarrasser de son ancienne étiquette tout en conservant ses ambitions et son idéologie fondamentaliste.
La rébellion contre Assad : entre tactique et stratégie
La prise d’Alep en novembre dernier marque un tournant décisif dans la carrière d’al-Joulani. À la tête de la coalition rebelle qui a permis de renverser Bachar el-Assad en moins de deux semaines, il se présente désormais comme un dirigeant politique soucieux d’une transition pacifique.
Depuis sa victoire, il n’a cessé de rassurer les populations syriennes, notamment les minorités religieuses, en promettant que la Syrie de demain serait un pays de coexistence, où les droits de toutes les communautés seraient respectés. Il a affirmé, face aux caméras, que l’objectif de la révolution était avant tout de « renverser le régime », mais que les moyens utilisés pour y parvenir seraient désormais plus « légaux et inclusifs ».
Un discours conciliant, mais des actes contradictoires
Pourtant, malgré ces déclarations modérées, la gouvernance d’al-Joulani sur les territoires qu’il contrôle, notamment à Idleb, a montré un autre visage. Depuis 2017, HTS dirige la région d’une main de fer, imposant un islamisme rigoriste, mais moins extrême que celui des talibans ou de l’État islamique. Sous son règne, les femmes vont à l’école, fument dans la rue, et des services publics, tels que l’eau ou l’électricité, ont été rétablis dans certaines zones. À Alep, la situation n’est guère différente, avec l’établissement d’un réseau téléphonique mobile et des infrastructures administratives fonctionnelles.
Cependant, cette apparente modération s’accompagne de répressions brutales à l’encontre des opposants. Selon plusieurs sources, al-Joulani a éliminé de manière systématique les opposants politiques, qu’ils soient laïques ou islamistes modérés, et gouvernent avec une autorité quasi-autoritaire. Son bilan à Idleb, bien que plus pragmatique que celui d’autres groupes jihadistes, soulève des questions sur ses réelles intentions pour l’avenir de la Syrie.
Une transition politique sous surveillance
En dépit de son image de réformateur, al-Joulani reste un homme d’ambitions politiques. Après la fuite de Bachar el-Assad, il s’est mis en retrait par rapport aux institutions syriennes restantes, mais il ne cache pas son désir de jouer un rôle majeur dans la reconstruction du pays. À ce titre, il a nommé un gouvernement civil composé de technocrates pour gérer les territoires sous son contrôle, et a exprimé sa volonté de travailler avec toute nouvelle direction syrienne choisie par le peuple. Cette approche plus inclusive pourrait jouer en sa faveur si la transition syrienne se poursuit dans un cadre politique pluraliste.
Un calcul politique ?
Pourtant, nombreux sont les analystes à estimer qu’al-Joulani ne s’éloigne pas totalement de ses racines islamistes. « Il fait preuve de tolérance, mais il n’a pas abandonné son idéologie fondamentaliste », souligne Wassim Nasr, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Selon lui, al-Joulani pourrait simplement chercher à se bâtir une image plus acceptable sur la scène internationale et à éviter l’isolement qu’avait connu son groupe lorsqu’il était affilié à al-Qaïda.
Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2, va plus loin : « C’est un calcul politique, il veut se présenter comme un dirigeant modéré, mais son histoire et ses méthodes sont très éloignées de la démocratie. Il a imposé un totalitarisme islamique à Idleb, et son modèle de gouvernance pourrait rapidement se transformer en un régime autoritaire, comme cela a été le cas avec d’autres groupes islamistes. »
Alors qu’il cherche à s’imposer comme un leader politique de transition, Abou Mohammed al-Joulani fait face à un défi majeur : concilier son passé jihadiste avec ses ambitions pour l’avenir de la Syrie. Si son image de modéré peut séduire certaines fractions de la population syrienne, la question demeure : cette transition vers un pouvoir plus modéré est-elle véritablement sincère, ou s’agit-il simplement d’une manœuvre politique pour légitimer un pouvoir islamiste plus large ? Le temps et les événements à venir nous fourniront les réponses.
Constantin GONNANG, Afrik Inform ☑️