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Alors que le Cameroun se prépare à une élection présidentielle cruciale en 2025, Maître Michèle Ndoki, avocate et figure politique engagée, dévoile les ambitions de sa plateforme Bâtisseurs de la Nation. Dans cet entretien exclusif accordé à Afrik inform, elle appelle les citoyens à reprendre le contrôle de leur destinée en s’impliquant activement dans la surveillance électorale, gage selon elle d’un véritable changement démocratique.
Contexte politique et personnel
Maître Ndoki, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours et de ce qui vous a motivé à vous lancer en politique et à fonder la plateforme Bâtisseurs de la Nation ?
J’ai commencé à m’intéresser à la politique en 91, pendant les années de braise au Cameroun. J’avais 18 ans, et mes « tontons », Yondo Black en tête, mais aussi mon père, s’engageaient pour transformer le paysage et la pratique politique dans notre pays.
Je suis revenue en politique 20 ans plus tard, en tant que militante du CPP en 2012, que j’ai quitté en 2014 pour lancer un premier projet de structuration de la société civile, Freedom Generation.
Après un deuxième passage au sein d’un parti politique (2016-2023), je me consacre désormais au projet des Bâtisseurs de la Nation, un mouvement populaire de réflexion et d’action politique. Je pense que pour faire des progrès réels et significatifs sur le chemin de la construction du Cameroun que nous méritons, il est impératif de nous doter d’une société civile forte et influente comme certains de nos pays frères.
Vous avez été vice-présidente des femmes du MRC. Quel a été votre rôle dans ce parti et comment votre expérience au sein du MRC a-t-elle influencé votre engagement actuel ?
Je considère que mon passage dans cette formation politique a été plus marqué par mon engagement au niveau de Douala 1er que par celui parmi les femmes du parti. En tant que responsable de la circonscription de Douala 1er à partir de mars 2017, je suis fière de la nouvelle génération de militants que j’ai accueillis au sein du parti à partir de 2017, qui ont formé les équipes qui représentaient le parti dans les bureaux de vote en 2018, nous permettant d’obtenir les procès-verbaux des 204 bureaux de Douala 1er.
L’éloignement de la capitale peut-être ? Mais j’ai privilégié ce travail de terrain sur celui plus administratif de 1ère Vice-président du groupe des Femmes… Puis à partir d’octobre 2018 les tracasseries judiciaires, les agressions à main armée, le départ forcé du Cameroun m’ont éloignée de ces fonctions.
Bâtisseurs de la nation
Bâtisseurs de la Nation a pour objectif de réunir 10 000 volontaires pour surveiller le vote lors de l’élection présidentielle d’octobre 2025. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de cette initiative et pourquoi elle est cruciale pour le Cameroun ?
Tout est parti du constat, partagé par les trois autres cofondateurs de l’organisation que sont Madame Nathalie Yakam, Monsieur Joseph Essama et Monsieur Kingsley Sheteh Newuh, que ce qui manque cruellement dans notre paysage politique, c’est une société civile forte. Nous avons vu ce qu’elle a pu faire pour des pays frères comme le Sénégal, le Burkina Faso, la République Démocratique du Congo, ou le Kenya.
Nous sommes engagées à faire en sorte d’offrir ce levier de changement et de progrès au Cameroun. La supervision du scrutin présidentiel de septembre ou octobre prochain par les électeurs eux-mêmes, organisés pour compiler les résultats et les porter à la connaissance du monde dans les heures suivant le scrutin, c’est notre projet phare, notre défi de l’heure.
En réussissant cela, on prouvera à tous ceux qui ne croient plus au pouvoir du peuple qu’ils ont tort : tout ce qu’il nous faut, c’est la foi en nous-mêmes et les uns dans les autres, l’organisation et le sens de l’intérêt général. Après, plus rien ne nous résistera
En quoi consiste exactement le rôle des volontaires que vous souhaitez mobiliser ? Quelles seront leurs responsabilités sur le terrain durant l’élection ?
Le rôle des volontaires Bâtisseurs de la Nation est de rendre compte du déroulement du scrutin à deux points de vue : Le scrutin se deroule-t-il normalement ? Les bulletins de tous les candidats sont-ils disponibles partout, les bureaux normalement ouverts, les electeurs peuvent-ils voter librement ? Cela permet d’évaluer la régularité, la sincérité et la transparence du scrutin, de dire en clair si l’on peut se fier au verdict à venir des urnes.
Quel est le verdict des urnes ? Les Bâtisseurs assistent alors au dépouillement au niveau du bureau de vote, et rendent compte de leurs observations à une équipe de coordination, qui procédera à la compilation et dégagera les tendances, comme cela se fait couramment ailleurs, comme cela s’est fait encore l’année dernière au Sénégal.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous vous attendez pour mobiliser ces 10 000 volontaires et comment comptez-vous surmonter ces défis ?
Je ne m’attends pas à des difficultés ! Les Bâtisseurs de la Nation croient que le désir de reprendre le contrôle de leur destinée commune en choisissant leur leader pour les sept prochaines années est partagé par la majorité des électeurs camerounais.
Le vrai défi c’est de restaurer la confiance entre nous, la volonté de travailler ensemble. La confiance est avant tout un acte de volonté. Nous travaillons à travers les représentants locaux de l’organisation à stimuler cette confiance.
Sur la question de la transparence électorale
Le Cameroun a connu de nombreuses controverses concernant la transparence de ses élections. Quelle est, selon vous, la principale lacune dans le système actuel et quelles solutions proposez-vous pour y remédier ?
Il est difficile de contester qu’ELECAM, l’organe chargé de l’organisation des élections, peine à rassurer sur son indépendance et sa neutralité. Les Bâtisseurs de la Nation ont décidé de réagir à ce constat en saisissant une opportunité que nous offre la loi, plutôt que de se complaire dans la critique et la complainte.
Pour nous assurer que les prochaines élections présidentielles se dérouleront dans le calme et que le verdict des urnes sera connu et accepté de tous, nous pouvons nous appuyer sur la ressource la plus nombreuse, la plus disponible et la plus impartiale : les électeurs.
Les Bâtisseurs de la Nation ne réunissent pas seulement des citoyens non engagés : il y a des leaders et membres associatifs, mais aussi des militants de divers partis politiques. Nous sommes unis par une cause citoyenne qui transcende tous les clivages : le choix démocratique du prochain magistrat suprême de notre grande et belle Nation. C’est à notre sens le meilleur remède qui soit.
Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’une telle initiative de surveillance citoyenne pourrait être perçue comme une tentative de politiser le processus électoral ?
Que le processus électoral s’est politiqé tout seul ! On parle de l’élection du chef de l’exécutif, je vois mal comment cela peut être fait en dehors du champ politique. Nous n’avons pas à être mal à l’aise avec cette étiquette : désormais les citoyens et électeurs camerounais veulent participer à la vie politique de leur Nation, oui ! Ils lui donnent tout, à cette Nation : leur vie, leurs enfants, leur sueur, leurs ressources.
C’est le minimum qu’ils peuvent exiger en retour. Cela ne veut pas dire qu’il veulent se mettre au service de tel ou tel candidat ; cela veut dire qu’ils veulent que les candidats partent à la compétition à armes égales et que le meilleur, celui qui aura obtenu le meilleur score, l’emporte. Ils sont suffisamment patriotes et matures pour vouloir le faire ensemble, dans le respect mutuel des opinions politiques individuelles.
Vous avez indiqué que la surveillance du vote est une nécessité. Comment la plateforme Bâtisseurs de la Nation veillera-t-elle à ce que cette surveillance soit réalisée de manière impartiale et transparente ?
En déléguant aux électeurs, chacun auprès de son centre ou de son bureau de vote, le soin de s’assurer que tout s’y passe normalement et de signaler toute anomalie. Les volontaires seront des électeurs des bureaux de votes dans lesquels il seront déployés. Cela, leur anonymat et leur discrétion, assureront l’indépendance et la neutralité dont nous avons besoin.
La place de la femme en politique
En tant que femme politique, vous avez joué un rôle important dans les actions et initiatives visant à renforcer la place des femmes dans la politique camerounaise. Quelles avancées, selon vous, restent encore à faire pour améliorer la participation des femmes dans les processus politiques du pays ?
Je crois qu’il faut envisager de mettre en place un système de mentorat pour aider les femmes à envisager plus sereinement une carrière politique. Je ne blâme pas celles qui ne sont pas intéressées : les modèles qu’on nous proposent mettent en avant les avantages des fonctions, le prestige associé à une certaine reconnaissance, au lieu des changements concrets obtenus pour les citoyens.
Je comprends que ça n’attire pas, les femmes ont tendance à vouloir entrer en politique pour changer la vie des autres, pas la leur. Le mentorat permettrait aux jeunes générations de comprendre plus aisément que le jeu politique est un mal nécessaire pour créer le Bien auquel on aspire.
Comment votre plateforme Bâtisseurs de la Nation inclut-elle et soutient-elle la participation des femmes dans son projet de surveillance des élections ?
La dynamique des Bâtisseurs de la Nation repose sur le volontariat. Nous ne soutenons, n’encourageons ou n’appuyons personne pour en faire un adhérent de l’organisation. Nous voyons des femmes rejoindre le mouvement, comme nous voyons des hommes.Elles savent qu’elles n’ont pas besoin qu’on leur tienne la main, ce sont des adultes comme les autres.
Vision de l’avenir politique du Cameroun
Avec l’élection présidentielle qui se profile en 2025, quels sont les enjeux politiques majeurs pour le Cameroun, comment pensez-vous que votre plateforme peut influencer le déroulement des élections et les résultats à venir ?
2025 est l’année où le peuple camerounais engagera le pays dans ce que certains appellent la transition vers la troisième République. C’est avec 25 ans de retard enfin notre chance d’entrer dans le 21eme siècle, j’ose dire. Pour un pays dont 65% de la population est né au cours de ce siècle, le choix du futur Président de la République censé nous ancrer enfin dans ce siècle est un enjeu majeur.
Les Bâtisseurs de la Nation contribuent à ce que ce choix demeure la prérogative EXCLUSIVE des électeurs camerounais en leur offrant l’outil, la structure, l’appui logistique et technologique nécessaire pour préserver la vérité des urnes. Si vous savez que la vérité sera connue, vous réalisez que votre voix peut compter.
Si vous décidez en conséquence de voter, le taux de participation augmente, barrant la route au risque de fraude : on ne bourre pas une urne pleine. La boucle est ainsi bouclée : les électeurs sont appelés à choisir leur futur Président de la République, ils répondent en confiance à l’appel, leur choix est entendu, reconnu et respecté. Le travail de (re)construction du pays peut ensuite reprendre dans un climat de sérénité et de cohésion sociale retrouvée.
Quelle est votre vision de l’avenir politique du Cameroun ? Pensez-vous qu’un changement de leadership est nécessaire et, si oui, comment voyez-vous le rôle de la jeunesse et des citoyens dans ce processus ?
Bien sûr que je pense, comme tout le monde, que le changement de leadership est non seulement nécessaire, mais urgent. Les citoyens doivent abandonner la posture de spectateurs de cette dynamique de changement, car elle ne produira pas d’effet bénéfique pour eux sans eux.Ils doivent être au cœur du processus.
J’ai lu aujourd’hui que Monsieur Léon Thriller Onana, militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et conseiller municipal dans la commune de Monatélé, avait assigné son parti devant le juge des référés, pour réclamer la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer le congrès qui ne s’est pas tenu depuis 2011, afin de procéder au renouvellement des organes.
Voilà le chemin : faire ce que l’on croit juste et bon pour la communauté, le parti, le pays, sans crainte. La jeunesse camerounaise n’est pas une minorité qu’il faudrait protéger, ce sont les vieux qui le sont ! Il serait temps que nos jeunes prennent la pleine mesure de leur immense pouvoir et surtout l’exercent. Tout le monde y gagnera.
Conclusion
Quels messages souhaitez-vous adresser aux Camerounais concernant la surveillance des élections et votre plateforme Bâtisseurs de la Nation ?
Rejoignez-nous, https://lesbatisseurs-cm.com/. Une seule main ne peut pas attacher un fagot, surtout un aussi gros. Venez mettre la main, comme on dit chez nous.
Pour conclure, pouvez-vous partager avec nous les prochaines étapes pour le projet Bâtisseurs de la Nation ? Comment les citoyens peuvent-ils s’engager concrètement pour soutenir cette initiative ?
Nous sommes en tournée dans le Grand Nord pour mobiliser des volontaires, qui peuvent être des individus, mais aussi, nous en serions heureux, des associations, organisations de la société civile ou syndicats.
Le projet s’appuie sur une coalition d’associations, car il se veut inclusif : c’est notre affaire à tous. Le lien permet d’accéder au site de la plateforme, de répondre aux questions, de s’inscrire (https://lesbatisseurs-cm.com/). Nous avons aussi une page Facebook https://www.facebook.com/share/1DAAHSMUAV/.
Propos recueillis par Afrik inform ☑️