L’histoire retiendra ce 8 mai 2025 comme une date charnière : celle où un Américain, Robert Francis Prevost, a été porté à la tête de l’Église catholique. À 69 ans, celui qui était encore récemment préfet du dicastère pour les évêques succède à François sous le nom de Léon XIV. Une première pour un prélat originaire des États-Unis, et une élection marquée par un vent de continuité et d’ouverture.
Classé parmi les modérés, cet homme discret et réfléchi n’est pas un inconnu à Rome. Il était déjà au cœur de la mécanique vaticane, siégeant dans sept dicastères. Il était surtout l’un des plus proches conseillers du pape François sur les nominations épiscopales, à travers son rôle-clé à la tête du dicastère des évêques, une institution qu’il dirigeait depuis 2023.
Le missionnaire devenu stratège de l’épiscopat
L’homme puise son autorité autant dans son expérience de terrain que dans sa fine maîtrise du droit canonique. Né à Chicago, avec des origines françaises, italiennes et espagnoles, il a longuement œuvré au Pérou, où il est devenu archevêque-évêque émérite de Chiclayo après avoir mené pendant deux décennies un travail missionnaire dans les périphéries. « Un évêque ne doit pas être un petit prince assis en son royaume, il doit être proche du peuple qu’il sert et marcher avec lui, souffrir avec lui », déclarait-il en 2024 à Vatican News.
Ce lien avec les peuples délaissés, cette proximité avec les réalités sociales ont séduit de nombreux cardinaux au moment du conclave. À tel point que les vaticanistes le présentaient comme le favori parmi les Américains, en raison de sa capacité à dialoguer, à tempérer les tensions internes et à faire converger les points de vue.
Un pape « peu américain », au sens « politique » du terme
Le quotidien La Repubblica le désignait d’ailleurs comme « le moins Américain des Américains », une manière de souligner son détachement des lignes conservatrices parfois radicales qui traversent l’Église américaine. Et pour cause : Prevost n’est jamais apparu proche de la droite dure aujourd’hui dominante à Washington. « J.D. Vance a tort : Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres », avait-il écrit sur les réseaux sociaux, s’opposant frontalement à la vision du vice-président américain.
Des propos qui avaient suscité l’ire de certaines figures de l’extrême droite comme Laura Loomer, qui n’avait pas hésité à qualifier le nouveau pape de « marxiste » et de « woke ».
Un parcours cohérent, bâti sur la fidélité et la mission
Si l’élection de Robert Prevost surprend par sa symbolique, son parcours montre au contraire une trajectoire cohérente. Entré chez les Augustins en 1977, ordonné prêtre en 1982, il est envoyé au Pérou dès 1984. En 1999, il revient brièvement à Chicago pour diriger la province des Augustins du Midwest, avant de prendre la tête de l’ordre en 2001.
En 2014, François le nomme administrateur apostolique du diocèse de Chiclayo, puis en 2023, il accède à l’un des postes les plus puissants du Vatican.Il est également président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, autre signe de la confiance que lui accordait son prédécesseur.
D’ailleurs, après la mort de François, il avait affirmé:« Nous ne pouvons pas nous arrêter, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Nous devons voir ce que l’Esprit Saint veut pour l’Église d’aujourd’hui et de demain, parce que le monde d’aujourd’hui, dans lequel vit l’Église, n’est pas le même que le monde d’il y a dix ou vingt ans».
Dans les pas de Léon XIII
Ce positionnement a trouvé un écho dans le choix de son nom pontifical : Léon XIV. Un nom à la portée hautement symbolique. Pour la journaliste Geneviève Delrue, spécialiste des religions, il s’agit d’un choix « programmatique » : « Léon XIV prend la succession en quelque sorte de Léon XIII. C’est le pape qui va faire l’encyclique Rerum Novarum […] à un moment donné où le monde change […]. C’est une encyclique qui va poser la doctrine sociale de l’Église. […] L’Église se préoccupe du monde de l’économie, et à mon avis, ce choix est un choix programmatique».
Le ton est donc donné : justice sociale, transformation, engagement dans les débats économiques contemporains. Pour Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, « il s’est situé dans la continuité, non seulement en évoquant l’apparition du pape François à Pâques, mais aussi en parlant d’une Église en marche et en appelant tous les hommes à construire des ponts».
Une continuité saluée aussi depuis l’Afrique.
Le père Arsène Brice Bado, jésuite et politologue, voit en Léon XIV un homme capable de faire entendre la voix de l’Église dans les lieux de pouvoir : « J’espère qu’il va pouvoir parler au cœur du pouvoir du monde et qu’on va pouvoir l’écouter non pas comme un étranger, mais un des leurs qui pourra changer les choses dans la perspective de la justice, de la paix, de la réconciliation… »
Loin d’être une rupture, le pontificat de Léon XIV s’annonce comme une transition assurée, entre fidélité au souffle réformateur de François et affirmation d’une Église audacieuse, bien ancrée dans les enjeux du XXIe siècle.
Constantin GONNANG avec RFI pour Afrik inform ☑️